Après des années de pression infructueuse sur les géants de la technologie qui consomment des produits issus des mines de cobalt, en particulier en République Démocratique du Congo (RDC), une initiative audacieuse a vu le jour. Le 15 décembre 2019, l’association de défense des droits de l’Homme, International Rights Advocates (IRAdvocates), a franchi une étape décisive en déposant une plainte devant un tribunal de Washington, ciblant Apple, Google, Microsoft, Tesla et Dell pour leur exploitation des enfants dans les mines de cobalt en RDC.
Cette démarche courageuse visant les géants de la Tech met en lumière la dichotomie du progrès technologique et les déséquilibres dans la répartition des richesses au sein de la chaîne d’approvisionnement de matières premières cruciales pour la fabrication d’appareils électroniques, de machines, et d’instruments emblématiques de cette avancée technologique, notamment le cobalt de la RDC, selon les propos d’Ely Katembo, fondateur du groupe Katembo et membre de la Congo World Foundation (CWF) pour le développement durable.
L’éminent analyste économique congolais, Al Kitenge, considère cette action comme un message adressé aux exploiteurs d’enfants dans les mines, tout en mettant en lumière les lacunes de la stratégie de lutte de l’État congolais contre ce fléau.
Quatre Accusations Majeures Contre les Titans de la Technologie
La plainte de 79 pages déposée par cette ONG spécialisée dans les actions en justice contre les multinationales, au nom de 14 plaignants, porte principalement sur quatre chefs d’accusation cruciaux. Les plaignants allèguent le travail forcé des enfants, l’enrichissement injuste, la négligence dans la supervision de la chaîne de valeur, et la création intentionnelle de détresse émotionnelle. Ces entreprises technologiques sont accusées de profiter du travail des enfants, qui œuvrent dans des conditions précaires, avec des rémunérations dérisoires, exposés à des risques considérables. Le document souligne également que chaque smartphone, tablette, ordinateur portable, véhicule électrique, ou tout autre appareil équipé d’une batterie rechargeable au lithium dépend du cobalt extrait en RDC, générant ainsi des centaines de milliards de dollars de chiffre d’affaires pour ces entreprises chaque année.
L’Exploitation des Enfants au Cœur du Problème du Cobalt
Il convient de noter que cette action en justice n’est pas la première critique à l’encontre des grandes multinationales technologiques. Un rapport publié en 2015 par Amnesty International pointait déjà du doigt leur responsabilité, révélant que les enfants employés pour récolter, trier, nettoyer, broyer, et transporter le cobalt étaient rémunérés en fonction du poids des sacs de minerai qu’ils transportaient, sans possibilité de vérification indépendante du poids ou de la qualité du minerai, augmentant ainsi les risques d’exploitation. Cette forme d’exploitation infantile moderne, selon l’analyste économique congolais Al Kitenge, doit cesser. En 2014, l’UNICEF estimait à 40 000 le nombre de jeunes filles et garçons travaillant dans les mines du sud de la RDC, où beaucoup d’entre eux étaient impliqués dans l’extraction du cobalt, travaillant en moyenne 12 heures par jour. Même les enfants scolarisés étaient contraints de travailler de 10 à 12 heures pendant les week-ends et les vacances, ainsi que avant et après les heures de classe, pour environ 1 dollar par jour, précise le rapport.
Apple, dont la capitalisation boursière a atteint 1060 milliards de dollars en octobre 2019, a déjà été critiquée pour son manque de vigilance dans le choix de ses fournisseurs de cobalt. L’entreprise a réagi en déclarant que le travail des enfants n’était jamais toléré dans sa chaîne d’approvisionnement. En réponse aux nombreuses critiques, plusieurs entreprises, dont Samsung, Apple, Sony, et HP, ont pris des mesures en faveur d’une utilisation plus éthique du cobalt en rejoignant l’Initiative du Cobalt Responsable (Responsible Cobalt Initiative, RCI), impulsée par des entreprises chinoises, visant à accroître la transparence de la chaîne d’approvisionnement.
Des Initiatives pour un Cobalt Plus Éthique
L’Initiative du Cobalt Responsable (RCI) compte parmi ses membres une trentaine de grandes entreprises, notamment les géants de la technologie tels qu’Apple, HP, et Huawei, ainsi que des producteurs chinois de cobalt comme Zhejiang Huayou Cobalt Co, le recycleur chinois de batteries GEM Co Ltd, le fabricant sud-coréen de batteries Samsung SDI, et les constructeurs automobiles Volvo, BMW, et Daimler. La certification et la traçabilité des minerais sont devenues essentielles pour instaurer un processus de diligence crédible, selon les dires d’Ely Katembo. Cependant, les experts s’accordent à reconnaître la complexité de créer une chaîne de traçabilité pour un minerai à raffiner tel que le coltan, qui produit du tantale et du cobalt. Le processus de raffinage comporte des risques de mélange avec d’autres lots. Amnesty International a également souligné cette opacité de la chaîne de production du cobalt, rendant difficile la traçabilité des minerais. La mise en place d’une chaîne d’approvisionnement en cobalt plus éthique, en partant de la RDC, qui extrait 60 % de la production mondiale, dépendra en grande partie de la volonté de l’État congolais de lutter contre ce trafic.
L’Échec de l’État Congolais
En République Démocratique du Congo, de nombreux enfants affirment devoir subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille tout en finançant leur éducation. Le Code de protection de l’enfance en RDC (2009) garantit le droit à une éducation primaire gratuite et obligatoire pour tous les enfants. Cependant, en raison du faible financement du pays,
dont le PIB est estimé à 37,24 milliards de dollars pour une population d’environ 90 millions d’habitants, la plupart des écoles continuent de demander une contribution mensuelle, appelée « minerval », pour couvrir divers coûts, notamment les salaires des enseignants, les uniformes, et le matériel pédagogique.
Tiar Nda-Ngye, coordinateur de l’Initiative Cobalt Propre (Clean Cobalt Initiative, 3C), souligne que chaque enfant travaillant dans une mine est un signe d’échec et nuit à l’image de l’industrie de l’exploitation minière, qu’elle soit artisanale ou industrielle. L’exploitation artisanale du cobalt représente entre 20 % et 30 % de la production congolaise, soit entre 18 000 et 27 000 tonnes sur la base de la production annuelle de 2018, surpassant de loin la production annuelle du deuxième plus grand producteur mondial de cobalt.
Selon Tiar Nda-Ngye, les autorités congolaises semblent prendre conscience du défi que représente l’éradication du travail des enfants dans les mines, notamment dans le cadre de l’exploitation artisanale du cobalt. Plusieurs spécialistes congolais proposent diverses solutions pour retirer les enfants des mines, notamment la mise en place de mécanismes de régulation et de structures encadrant l’exploitation des ressources minières de manière éthique en RDC. Cela inclut une application rigoureuse du code minier, la promotion du Service d’Assistance et d’Encadrement des Mines Artisanales et de Petit Échelle (SAEMAPE), et le renforcement des capacités de négociation des mineurs artisanaux vis-à-vis des acheteurs, ainsi que la sécurisation des zones d’exploitation.
Al Kitenge recommande également l’arrêt de l’exploitation anarchique de l’artisanat minier, l’imposition de sanctions aux trafiquants, et la recherche de moyens de substitution pour les populations exploitées. L’objectif est de transformer les mines en exploitations industrielles ou semi-industrielles, gérées par des acteurs identifiés et respectueux des normes en vigueur. L’État congolais doit appliquer une politique de tolérance zéro envers les exploitations artisanales et soutenir le développement d’exploitations semi-industrielles transparentes et responsables, conformément aux recommandations d’Al Kitenge.