L’audition d’André Wameso, gouverneur de la Banque centrale du Congo, le jeudi 30 octobre devant la Commission économique et financière de l’Assemblée nationale, a confirmé deux réalités : une monnaie locale plus forte et un État qui s’attend à toucher moins. Le patron de l’institut d’émission a reconnu la contraction à venir des recettes publiques et annoncé des « mesures correctrices » pour amortir le choc.
Ce que la BCC a expliqué et ce que les économistes contestent
Devant les députés, le constat posé par la BCC est clair : le franc congolais s’apprécie face au dollar. Selon le président de la Commission ECOFIN, Guy Mafuta, cette poussée est la conséquence d’une mesure prudentielle exigeant des réserves obligatoires plus élevées en monnaie nationale auprès des banques commerciales. En pratique, le marché en francs a été resserré, la liquidité raréfiée, et la valeur du franc a monté. L’institution y a vu un signe de stabilité monétaire. Elle admet désormais l’effet secondaire le plus sensible pour le Trésor : l’érosion de la base de calcul des recettes libellées au taux de change.
Pour répondre à cette baisse attendue, André Wameso a énuméré plusieurs leviers. D’abord, la remise en cause d’exonérations fiscales jugées coûteuses. Ensuite, un pari : l’augmentation de la TVA par le biais d’une consommation qui se redresserait avec la détente des prix importés. Enfin, un appui espéré sur la remontée des cours des matières premières, en particulier le cuivre et le cobalt, afin de soutenir les rentrées issues du secteur minier.
Cette grille de réponse ne convainc pas tout le monde. L’économiste et professeur Godé Mpoy a livré une critique frontale, estimant que ces mesures « ne fonctionneront pas ». Il avance trois arguments. Premièrement, la suppression d’exonérations ciblées risque d’affaiblir les entreprises qui en bénéficient sans garantir un supplément net de recettes fiscales. Deuxièmement, tabler sur la TVA suppose un moteur de consommation solide ; or une économie duale marquée par une dollarisation tenace et des paiements publics irréguliers freine la demande. Troisièmement, la dépendance envers la conjoncture des métaux expose le budget à une volatilité déjà éprouvée : « En mai 2024, la tonne se négociait à 10 800 dollars, mais nos recettes n’ont pas dépassé 9 milliards. L’émotion ne peut se substituer à la raison. »
Au-delà de la polémique sur les outils, une alerte revient avec insistance : l’absence de synchronisation entre la politique monétaire et la trajectoire budgétaire. Le durcissement monétaire a été mené sans simulation macroéconomique partagée avec la chaîne des finances publiques. Résultat : le cadrage du budget 2025 se fragilise, puisque la plupart des recettes des régies financières dépendent d’un taux de change devenu moins favorable aux évaluations en monnaie locale. Chaque recul du dollar contre le franc comprime mécaniquement les montants à percevoir.
Les implications se dessinent déjà. Moins de recettes converties en francs signifie des marges de trésorerie plus étroites. La pression sur les paiements — salaires, transferts, subventions, investissements — s’accroît, surtout si les encaissements ralentissent tandis que les engagements continuent de tomber. Dans les provinces, la tension peut s’amplifier, les finances locales étant elles aussi liées à des paramètres de change et à des bases taxables qui se déplacent.
Face à ces critiques, la BCC assume sa cible : défendre la monnaie et ancrer les anticipations. Elle promet d’ajuster sans renoncer. André Wameso parle de « pérennité » des mesures et de « revalorisation de la monnaie locale ». Des analystes y voient un pari risqué : une appréciation « administrée » bénéficie aux détenteurs de francs et à quelques importateurs court-terme, tandis qu’elle pèse sur les exportateurs et sur les agents économiques qui libellent leurs flux en dollars. La consolidation du franc, sans appui d’un cycle d’offre et de productivité, peut créer une illusion de solidité tout en fragilisant la collecte fiscale et l’activité tournée vers l’export.
Le cœur du sujet reste l’articulation des politiques. Une appréciation monétaire peut être soutenable si elle s’inscrit dans une trajectoire cohérente : crédibilité de la règle budgétaire, visibilité des flux miniers, gestion de la trésorerie publique, et calendrier clair de réduction des exonérations avec évaluation d’impact secteur par secteur. À défaut, l’économie se retrouve avec des signaux contradictoires : une monnaie forte qui renchérit la production locale en devise, des régies financières qui peinent à convertir les bases taxables en recettes fermes, et des opérateurs qui retardent décisions d’investissement et embauches.
La BCC peut, de son côté, alléger progressivement la contrainte de liquidité si les conditions l’exigent, tout en conservant un message ferme contre la spéculation. Le ministère des Finances peut, lui, prioriser la dépense, accélérer le recouvrement, mieux cibler la dépense fiscale et segmenter les exonérations selon leur rendement socio-économique. Les régies peuvent renforcer la conformité pour élargir l’assiette sans casser l’activité. La clé, ici, tient à une coordination opérationnelle, chiffrée, suivie dans le temps, plutôt qu’à des annonces qui se neutralisent.
L’audition aura au moins clarifié le diagnostic : le renforcement du franc, tel qu’il est conduit, abaisse la traduction budgétaire des bases imposables. La question n’est pas de nier le rôle de la stabilité des prix, mais d’éviter un réglage qui, en corrigeant un déséquilibre, en crée d’autres. Une séquence concertée entre la BCC et les Finances, avec des trajectoires publiques réalistes et des évaluations d’impact publiées, offrirait une voie plus lisible. Sans ce travail commun, la « réussite » monétaire risque de se payer par une trésorerie publique sous tension et une activité qui s’essouffle.
— M. KOSI






