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Cobalt : Tshisekedi défie Pékin avec une interdiction d’exportation et appelle Trump à la rescousse

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La République démocratique du Congo (RDC) mise sur le cobalt pour se libérer progressivement du contrôle chinois sur ses ressources minières, alors que la tension économique entre Pékin et Washington s’intensifie. En février dernier, Kinshasa décidait soudainement de suspendre toutes les exportations de cobalt, une mesure radicale dont les dirigeants de CMOC, géant chinois du secteur, ont appris l’existence par la presse financière.

Cette décision exceptionnelle, prise par le président Félix Tshisekedi, visait à stopper la chute libre des prix du cobalt, tombés à leur plus bas niveau depuis des années. Elle ciblait indirectement CMOC, dont l’expansion fulgurante depuis le rachat des mines de Tenke Fungurume et de Kisanfu a largement dépassé les prévisions initiales. En 2023, la production record de cobalt par CMOC avait entraîné un excédent mondial, plongeant les cours sous les 10 dollars la livre, soit une chute de 75 % depuis leur sommet de mai 2022.

Mines katanga

La RDC, qui détient près des trois quarts des réserves mondiales de cobalt, voit pourtant sa politique minière dictée davantage par les géants industriels chinois que par ses propres autorités économiques. Pékin contrôle ainsi plus de 80 % du raffinage mondial du cobalt, essentiel aux batteries électriques et aux industries militaires et aéronautiques. Selon Resource Matters, en 2023, les revenus miniers du pays issus du cobalt ont baissé de 40 %, s’établissant à seulement 409 millions de dollars malgré une hausse de production de près de 20 %.

L’interdiction des exportations était une forme de défi lancé à Pékin, mais également une ouverture discrète vers les États-Unis de Donald Trump, qui voit dans les minerais stratégiques un enjeu clé face à la Chine. Washington cherche à reprendre pied dans une région délaissée depuis la chute de Mobutu, alors que les échanges commerciaux entre Kinshasa et Pékin frôlaient 27 milliards de dollars en 2024, contre à peine 820 millions avec les États-Unis.

Dans ce contexte, Tshisekedi propose aux Américains un accord inédit, une sorte de troc « minerais contre sécurité« , similaire à une initiative précédemment discutée avec l’Ukraine. Cette proposition inclurait un soutien américain pour stabiliser l’Est congolais, en proie à des troubles sécuritaires liés à la rébellion du M23, soutenue selon Kinshasa par le Rwanda voisin. En retour, les entreprises américaines obtiendraient un accès privilégié aux ressources minières congolaises.

En avril, les ministres des Affaires étrangères de la RDC et du Rwanda se sont retrouvés à Washington, sous le regard du secrétaire d’État américain Marco Rubio, pour signer une déclaration visant à amorcer un processus de paix. Parallèlement, Massad Boulos, conseiller principal du président Trump pour l’Afrique, évoquait un éventuel soutien financier américain au secteur minier congolais via l’US International Development Finance Corp.

Cependant, les analystes restent sceptiques. La Chine a déjà investi massivement dans l’industrie congolaise du cobalt et du cuivre, avec près de 9 milliards de dollars engagés par CMOC depuis 2016. Les infrastructures établies par les entreprises chinoises vont des grands complexes miniers aux commerces locaux gérés par des entrepreneurs indépendants venus de diverses provinces chinoises. Pékin est aussi un partenaire clé dans la difficile gestion logistique et sécuritaire de la région minière du Katanga.

Minerais 3T Rwanda

Du côté américain, quelques initiatives voient le jour : EVelution Energy projette d’ouvrir en Arizona une raffinerie de cobalt à grande échelle dès 2027, approvisionnée par la RDC, tandis que KoBold Metals, soutenu notamment par Bill Gates et Jeff Bezos, prévoit un investissement de plus d’un milliard de dollars pour développer un gisement de lithium au nord-est de Kolwezi.

Pour autant, Kinshasa marche sur des œufs. La RDC cherche à diversifier ses partenaires économiques sans rompre totalement avec Pékin, conscient que la Chine demeure son principal soutien économique et commercial. Le ministre congolais des Mines, Kizito Pakabomba, affirme que la stratégie vise à utiliser les revenus miniers pour diversifier l’économie nationale en favorisant notamment l’agriculture et le tourisme.

Cette stratégie comporte toutefois des risques : une intervention trop rigide sur les exportations pourrait pousser les fabricants de batteries à accélérer leur transition vers des technologies sans cobalt, ce qui aurait des conséquences durables pour l’économie congolaise. Malgré tout, le gouvernement se montre déterminé à prendre davantage le contrôle sur la chaîne de valeur du cobalt, afin d’éviter de n’être qu’un simple fournisseur de matières premières pour l’étranger.

Un pari risqué, certes, mais indispensable pour tenter de transformer enfin les immenses ressources minérales congolaises en véritable prospérité nationale.

— M. KOSI

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