Les travaux du Programme de développement local des 145 territoires (PDL-145T), présentés comme l’un des piliers de la stratégie de réduction des inégalités territoriales en République démocratique du Congo, sont en panne sèche dans le territoire d’Ilebo, province du Kasaï. Depuis plusieurs semaines, les infrastructures annoncées, financées et même lancées sur papier, restent à l’état de carcasses inachevées. Le PNUD, opérateur principal du projet, n’a livré aucun ouvrage à ce jour, malgré des budgets alloués et des contrats signés.
Le blocage est d’autant plus préoccupant que le PDL-145T repose sur un financement d’environ 1,66 milliard de dollars, puisés pour partie dans le Trésor public, pour partie dans l’appui de partenaires comme la Banque mondiale, la BAD et le PNUD. Le programme prévoyait notamment près de 8 000 projets d’infrastructures de base à travers l’ensemble des territoires du pays. L’ambition affichée était claire : reconstruire l’administration de proximité, améliorer l’accès aux soins et à l’éducation, et désenclaver des zones restées hors des flux publics depuis des décennies.
À Ilebo, aucune de ces priorités n’a franchi le seuil de l’exécution. Centres de santé, écoles, bureaux de l’État civil ou routes secondaires ne dépassent pas le stade de structures vides ou abandonnées. Le silence des chantiers alimente un sentiment de rupture entre les projections du gouvernement central et la réalité locale. Cette inertie, dans une zone déjà fragilisée par une pauvreté multidimensionnelle – plus de 78 % des ménages sous le seuil national de pauvreté selon les dernières estimations de l’INS – fragilise la légitimité du programme tout entier.
Pour les organisations de la société civile, cette paralysie révèle une absence de suivi technique et institutionnel. Bope Dieudonné, acteur engagé localement, alerte : « La population attend du concret. Ce projet a été annoncé avec force, mais aujourd’hui, le terrain est vide, les machines sont à l’arrêt. » Son appel s’oriente vers une double réponse : rétablir une chaîne de coordination opérationnelle entre Kinshasa et les territoires, et instaurer une communication structurée autour des obstacles, des calendriers réels et des responsabilités engagées.
Le PNUD, pourtant désigné comme chef de file sur plusieurs tronçons du PDL-145T, n’a pas réagi officiellement à la situation d’Ilebo. Ce silence interroge, alors que la structure onusienne pilote des chantiers similaires dans d’autres provinces avec des taux de réalisation variables, mais globalement supérieurs à 30 % d’avancement physique en moyenne nationale selon le dernier rapport de suivi du ministère du Plan.
L’absence de remise des ouvrages ne constitue pas qu’un simple retard : elle entraîne des conséquences budgétaires immédiates. En effet, les engagements contractés sont déjà intégrés dans la chaîne de dépense publique. En cas d’abandon ou de non-exécution, l’État risque des redressements ou litiges, aggravant un climat de sous-performance dans l’exécution des dépenses d’investissement. Déjà, au premier trimestre 2025, les dépenses d’investissement exécutées dans le cadre du PDL-145T représentent moins de 22 % des crédits votés pour ce poste, soit bien en deçà des standards attendus pour une montée en charge équilibrée.
Dans une région comme le Kasaï, marquée par une fragilité structurelle du tissu économique, ce type de programme était censé catalyser une relance locale. Le secteur des PME reste embryonnaire, avec un taux d’accès au crédit inférieur à 3 % selon la BCC, et une bancarisation extrêmement faible. La défaillance du PDL-145T dans ce contexte réduit encore les perspectives d’absorption de main-d’œuvre locale, de création de valeur, et de stabilisation sociale.
Le programme souffre d’une double contradiction : une gouvernance centralisée appuyée par des partenaires techniques internationaux, mais sans mécanisme de redevabilité clair au niveau des bénéficiaires ; et une planification budgétaire ambitieuse, mais grevée par des lenteurs d’exécution, des passations de marchés non transparentes et une chaîne de paiement inopérante en milieu rural.
À court terme, l’enjeu sera d’éviter que la situation d’Ilebo ne devienne un précédent. Le gouvernement devra clarifier, chiffres à l’appui, l’état d’avancement territoire par territoire. Il s’agit de rétablir la crédibilité d’un programme qui a déjà absorbé plus de 400 millions USD depuis son lancement en 2022, sans que les retombées soient visibles sur le terrain dans plusieurs régions.
En l’absence d’une réforme structurelle de la gestion déléguée de ces projets publics, les ambitions de développement risquent de se dissoudre dans les incohérences logistiques et les silences administratifs. La population d’Ilebo, quant à elle, attend désormais des actes, et non plus des annonces.
— M. KOSI