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Kinshasa : les prix du haricot grimpent de 38 %, poussés par l’insécurité à l’Est

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La tendance des prix observée au premier trimestre 2025 à Kinshasa montre une stabilité apparente, masquant des tensions persistantes sur certains produits essentiels. Deux denrées de base se démarquent par des augmentations particulièrement marquées : le haricot, dont le prix a bondi de 38 %, et le poisson salé, en hausse de 13,7 %. Le premier est directement impacté par la dégradation sécuritaire dans les zones agricoles de l’Est, en particulier dans les environs de Goma, qui alimente une part significative du marché urbain. Le second reflète une fluctuation récurrente liée aux conditions d’approvisionnement saisonnier et aux coûts logistiques, aggravés par la volatilité du taux de change sur les importations.

En contrepoids, plusieurs produits de consommation courante enregistrent une baisse, à l’image du chinchard, du sucre blanc importé et des cuisses de poulet congelées. Cette détente, bien que modérée, peut être interprétée comme un effet partiel des mécanismes de régulation mis en œuvre, notamment la surveillance des marges et la structuration des circuits de distribution. Néanmoins, l’effet reste fragile tant que les facteurs exogènes — logistique, sécurité, volatilité monétaire — ne sont pas maîtrisés.

Dans les provinces du Grand Katanga et du Grand Kasaï, où la farine de maïs constitue un pivot de la sécurité alimentaire, la situation évolue dans un sens favorable. Entre février et mai 2025, les prix des farines locales et importées ont reculé de 1 à 15 %, selon les localités. La baisse est particulièrement lisible à Likasi, où la combinaison entre proximité géographique avec les zones de production, fluidité des corridors et allègement des formalités administratives a permis de contenir les pressions inflationnistes.

Les données proviennent de l’application Talo, un outil numérique conçu pour assurer un suivi régulier des prix sur les marchés. Enregistrant les relevés terrain, cette application est progressivement devenue un instrument d’aide à la décision pour les autorités économiques. À partir du second semestre 2025, elle sera dotée d’un module supplémentaire destiné à recueillir des informations sur les stocks, flux de ventes et lieux de stockage auprès des producteurs, importateurs et grossistes. L’objectif est de modéliser l’offre disponible en temps réel pour prévenir les déséquilibres brusques entre l’offre et la demande.

Ce renforcement de la collecte d’informations s’inscrit dans un projet d’extension nationale du dispositif Talo, soutenu par la Cellule d’Analyse des Indices de Développement (CAID) rattachée à la Primature. L’approche vise à rapprocher la politique monétaire des réalités des marchés locaux, en dotant les décideurs d’indicateurs actualisés et désagrégés. Cette granularité dans l’analyse permettrait, à terme, d’anticiper les points de tension, d’ajuster les politiques de subvention ou de contingenter certaines importations.

L’écart croissant entre les provinces et la capitale en matière de pression sur les prix soulève néanmoins des interrogations sur l’efficacité de la régulation dans un contexte national fortement fragmenté. Si des zones comme Likasi profitent d’une organisation logistique plus fluide, d’autres continuent de subir les effets d’un enclavement chronique ou de barrières informelles sur les routes commerciales.

Face à une inflation structurelle toujours sous-jacente — alimentée par la faiblesse du tissu productif local et la dépendance persistante aux importations —, les signaux positifs observés doivent être analysés avec prudence. Le succès du dispositif Talo dépendra de sa capacité à capter les variables cachées du marché et à s’articuler avec les instruments classiques de stabilisation : politique monétaire, fiscalité sur les produits de première nécessité, et incitations à la production locale.

La lecture technique de cette phase d’observation souligne que la RDC expérimente une forme de régulation fondée sur la donnée, sans disposer encore des leviers budgétaires et industriels permettant de la traduire systématiquement en action sur les marchés. L’absence de réponse rapide à la flambée du haricot, combinée à la gestion encore artisanale des flux d’importation, confirme les limites du modèle actuel.

Peter MOYI

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