La République Démocratique du Congo veut relancer ses ambitions industrielles en s’attaquant à un goulet structurel : l’énergie. Dans un pays où moins de 20 % de la population a accès à l’électricité — et à peine 5 % en milieu rural selon les estimations de la Banque mondiale —, l’Agence nationale d’électrification et des services énergétiques (ANSER) et le Fonds de Promotion de l’Industrie (FPI) viennent de conclure un accord de coopération jugé stratégique.
L’objectif est clair : mettre en synergie les moyens financiers du FPI avec l’expertise technique de l’ANSER pour renforcer la couverture électrique dans les zones à fort potentiel industriel, mais encore privées d’infrastructures énergétiques de base. Le partenariat prévoit d’intervenir dans les 145 territoires du pays, un maillage administratif qui recouvre aussi bien des zones périurbaines que des localités enclavées où les projets productifs restent à l’arrêt faute de courant.
Pour le FPI, cette initiative s’inscrit dans une logique d’investissement ciblé. Depuis plusieurs années, l’institution finance des unités de transformation agroalimentaire, des usines locales ou des PME industrielles. Mais sur le terrain, l’accès à l’énergie reste l’obstacle le plus fréquent aux décaissements ou à la pérennité des projets. Sans solution durable, les équipements financés par le FPI restent souvent à l’arrêt ou fonctionnent à perte avec des générateurs.
D’où l’intérêt de ce protocole d’accord qui prévoit notamment une cartographie conjointe des besoins énergétiques industriels, un cofinancement des installations électriques à base solaire ou hybride, et une planification coordonnée des investissements. Pour Bertin Mudimu, directeur général du FPI, la condition sine qua non de l’émergence industrielle congolaise repose sur une électrification pragmatique : « Sans alimentation stable, aucun site de production ne peut fonctionner, et aucune chaîne de valeur ne peut se structurer.«
La RDC dispose d’un potentiel énergétique colossal — plus de 100 000 MW de capacité hydroélectrique théorique —, mais moins de 3 % est aujourd’hui exploité. Dans ce contexte, le recours aux solutions décentralisées (mini-réseaux, kits solaires industriels, centrales hybrides locales) représente une option viable à court terme, notamment dans les zones rurales ou les corridors de production agricole. L’ANSER, qui pilote depuis 2020 plusieurs projets pilotes d’électrification communautaire, voit dans cette collaboration une opportunité de passage à l’échelle.
À court terme, les deux institutions prévoient de tester le modèle dans une dizaine de territoires pilotes, notamment dans les provinces du Kwilu, du Haut-Katanga et du Sankuru. Des appels à projets sont attendus dans les mois à venir, avec une préférence pour les initiatives ayant un fort effet d’entraînement sur les emplois locaux et la transformation de matières premières.
La coordination interinstitutionnelle, souvent défaillante dans les politiques publiques congolaises, constitue ici un facteur de risque mais aussi un levier inédit. En agrégeant leurs ressources respectives — subventions, expertise, suivi de terrain —, le FPI et l’ANSER espèrent mettre en place une réponse ciblée à l’échec des programmes nationaux d’électrification rurale menés jusqu’à présent sans ancrage productif clair.
L’enjeu, bien au-delà de la fourniture en kilowattheures, est celui de la structuration industrielle à la base. La stratégie actuelle mise sur la densification des zones de production secondaire, afin de désengorger les grandes villes et de mieux répartir la croissance. Elle s’inscrit aussi dans la logique du Plan national stratégique de développement (PNSD), qui prévoit d’atteindre 30 % d’accès à l’électricité à l’horizon 2030.
Mais pour y parvenir, le pays devra résoudre une équation complexe : financer l’infrastructure tout en assurant la rentabilité économique des projets dans des zones à faible densité et à pouvoir d’achat limité. Le FPI, en apportant une logique de viabilité financière, pourrait justement permettre à ces projets de franchir ce seuil critique où le social rejoint l’économie. À condition que les promesses ne restent pas lettres mortes.
— M. KOSI