Jean-Pierre Latere Dwan’Isa est né à Lubumbashi, en République démocratique du Congo, et a grandi à Kinshasa, où il a fréquenté le prestigieux Collège Boboto. Très tôt passionné de sciences et d’innovation, il s’oriente vers la chimie. Il s’installe en Belgique pour ses études supérieures et obtient un doctorat en chimie des polymères à l’Université de Liège. Cette solide formation scientifique jette les bases de sa carrière d’exception dans le domaine de la biotechnologie. Après sa thèse, il part aux États-Unis réaliser un post-doctorat à l’Université du Michigan, expérience à la suite de laquelle il est recruté par le groupe pharmaceutique Johnson & Johnson (via sa filiale Janssen Pharmaceutica).
Début de carrière dans l’industrie pharmaceutique
Au sein de Johnson & Johnson, Jean-Pierre Latere commence comme chercheur en développement pharmaceutique, puis se spécialise dans les dispositifs médicaux. D’abord basé dans les laboratoires de Janssen à Beerse, en Belgique, il part ensuite aux États-Unis poursuivre ses travaux de recherche pour la compagnie. Cette première expérience industrielle est formatrice : il y découvre la recherche pharmaceutique de pointe au sein d’une organisation renommée pour l’excellence de ses chercheurs. Dans une interview, il confiera que Johnson & Johnson lui a offert une « excellente expérience » et l’a confronté à une culture de recherche particulièrement dynamique et bien dotée en ressources, notamment aux États-Unis. Après la naissance de son premier enfant, il choisit de revenir en Belgique afin de se rapprocher de sa famille, mettant fin à son parcours chez Johnson & Johnson non sans difficulté tant l’environnement de recherche y était stimulant.
Cardio3 Biosciences : de la recherche à l’entrepreneuriat

En 2008, Jean-Pierre Latere rejoint la jeune société Cardio3 Biosciences (aujourd’hui connue sous le nom de Celyad) en Wallonie. Cette entreprise de biotechnologie, fondée par le Dr Christian Homsy, est alors l’un des pionniers des thérapies cellulaires spécialisées, avec des programmes en immuno-oncologie et en cardiologie. Latere y occupe d’abord un poste de chercheur senior et contribue au développement de C-Cure, un traitement novateur utilisant des cellules souches mésenchymateuses modifiées pour régénérer le muscle cardiaque après un infarctus. Ce traitement est l’un des premiers du genre et progresse jusqu’aux phases cliniques II/III, traitant plus de 150 patients atteints d’insuffisance cardiaque. Fort de ces résultats, Jean-Pierre Latere se voit confier le rôle de Directeur du développement commercial (Business Development) de Cardio3. Ce poste marque pour lui un tournant vers l’entrepreneuriat : il apprend à lever des fonds, gérer des projets, recruter des talents et innover dans un contexte agile – autant de compétences clés pour un futur dirigeant de biotech. Il souligne que Cardio3 lui a permis de « basculer de chercheur au monde de l’entrepreneuriat » en assumant des responsabilités transversales liées à la croissance de l’entreprise. Sur le plan technologique, son travail chez Cardio3 aboutit aussi à des innovations concrètes : il est par exemple co-inventeur d’un nouveau cathéter d’injection cardiaque breveté, conçu pour améliorer la rétention des cellules injectées dans le myocarde lors des thérapies régénératives. Les études ont montré que ce dispositif (baptisé C-Cath) permet de tripler la rétention des cellules cardiaques injectées par rapport aux aiguilles standards, ce qui optimise l’efficacité du traitement.
Responsabilités internationales chez Dow Corning
Après son passage chez Cardio3, Jean-Pierre Latere poursuit sa carrière aux États-Unis en intégrant Dow Corning vers 2011, une entreprise américaine spécialisée dans les matériaux silicones et les technologies pour la santé. Il y occupe un poste de responsable mondial Science et Technologie pour le secteur de la santé (Healthcare) puis pour la division cosmétique. À ce titre, il dirige une équipe d’environ une centaine de personnes réparties en Amérique, en Europe et en Asie. Cette expérience de management international lui permet d’élargir son savoir-faire, en particulier sur les aspects de commercialisation de l’innovation : il y apprend combien toute innovation doit répondre à un besoin concret du marché et des clients. Travailler chez Dow Corning, au-delà de la dimension scientifique, l’initie à la gestion de produits à l’échelle globale et aux réalités industrielles hors du strict cadre pharmaceutique. Cette période affine son profil de leader techno-entrepreneurial, capable de faire le lien entre la R&D et la mise sur le marché de solutions innovantes.
Retour chez Celyad et pivot vers l’immunothérapie
En janvier 2017, Jean-Pierre Latere revient en Belgique pour réintégrer l’entreprise Celyad (nouveau nom de Cardio3 Biosciences) à un poste de direction. Il y occupe successivement les fonctions de vice-président en charge de la médecine régénérative et des dispositifs médicaux, de vice-président des opérations et de la commercialisation, puis de Chief Operating Officer (COO), c’est-à-dire directeur des opérations, jusqu’en mai 2020. Celyad s’est recentrée sur l’oncologie et développe alors des traitements innovants contre le cancer basés sur les cellules CAR-T (Chimeric Antigen Receptor T). Cette immunothérapie de pointe vise à prélever des lymphocytes T du patient, à les reprogrammer génétiquement en laboratoire pour qu’ils ciblent les cellules tumorales, puis à les réinjecter au patient afin d’activer son système immunitaire contre le cancer. Jean-Pierre Latere contribue activement à ces programmes de thérapie cellulaire, faisant partie des premiers en Europe et aux États-Unis à tester la technologie CAR-T dans des essais cliniques. L’engagement chez Celyad prend pour lui une dimension personnelle : « quand j’ai découvert les CAR-T, c’était un moment très important pour moi car un de mes proches souffrait d’un cancer… Travailler chez Celyad, c’était comme une mission : contribuer à améliorer la vie des patients et des familles qui souffrent » confie-t-il. Cette mission se révèle aussi éprouvante qu’enthousiasmante, sachant que pour de nombreux malades sans autre option thérapeutique, ces traitements expérimentaux représentent un espoir ultime. Sous la direction opérationnelle de Latere, Celyad mène des essais tant en Europe qu’aux États-Unis sur des produits CAR-T autologues (à partir des cellules du patient lui-même) et allogéniques (à partir de donneurs). Ces deux approches présentent des avantages et limites : l’autologue évite les rejets immunitaires mais implique un processus de fabrication lourd et lent pour chaque patient, tandis que l’allogénique permet de traiter plus de patients plus rapidement, au prix d’un risque de rejet et d’une persistance limitée des cellules du donneur . En 2020, fort de cette expérience, Jean-Pierre Latere se retrouve à un tournant de sa carrière, désireux d’aller encore plus loin pour surmonter les obstacles rencontrés par les thérapies CAR-T classiques.
Fondation d’EsoBiotec et innovation de thérapie in vivo

En pleine pandémie de Covid-19, Jean-Pierre Latere décide en 2020, à 45 ans, de se lancer dans son propre projet afin de réinventer la thérapie cellulaire. Il fait le constat que, malgré leur potentiel curatif, les traitements CAR-T autologues et allogéniques ne pourront pas bénéficier à un nombre suffisant de patients en raison de la complexité logistique, des coûts élevés et des délais de production de ces approches. Sa réflexion l’amène à inverser le paradigme : et si l’usine de fabrication des CAR-T était le patient lui-même ? En d’autres termes, plutôt que de modifier les cellules immunitaires en dehors du corps, pourquoi ne pas le faire directement in vivo, à l’intérieur du patient. C’est ainsi qu’il fonde en 2021 la start-up EsoBiotec à Mont-Saint-Guibert, en Belgique, pour concrétiser cette vision audacieuse. L’idée centrale d’EsoBiotec est de transformer chaque patient en « usine » à CAR-T : un vecteur viral sophistiqué est injecté chez le malade et va reprogrammer sur place ses propres lymphocytes en cellules CAR-T, supprimant du même coup la nécessité de prélever le sang, de le transporter et de fabriquer le produit en laboratoire. Cette approche d’immunothérapie in vivo vise à simplifier radicalement le traitement du cancer : un geste unique d’injection pourrait remplacer des semaines de fabrication en salle blanche, réduisant les coûts et élargissant l’accès à ces thérapies de pointe pour des milliers de patients supplémentaires chaque année.
Dès sa création, EsoBiotec adopte un positionnement ambitieux. L’entreprise opère d’abord en mode stealth (discrétion) et réunit en 2022 un financement de démarrage de 22 millions d’euros auprès de grands investisseurs en capital-risque belges et internationaux (dont UCB Ventures, SRIW Life Sciences, Thuja Capital et Sambrinvest). À la tête d’une équipe d’experts internationaux, Jean-Pierre Latere développe la plateforme propriétaire ENaBL (Engineered NanoBody Lentiviral), un vecteur lentiviral de nouvelle génération capable de cibler spécifiquement les cellules T et de les modifier in vivo. Cette technologie permet d’envisager des traitements “prêts-à-l’emploi” (off-the-shelf) sous forme d’injection, sans lourde préparation ex vivo. Les applications potentielles vont au-delà des cancers hématologiques (cibles initiales des CAR-T) pour s’étendre aux tumeurs solides et aux maladies auto-immunes, répondant à d’importants besoins médicaux non satisfaits.
En 2024, EsoBiotec entame ses premières validations cliniques. Grâce à un partenariat avec la biotech chinoise Pregene Biopharma, un premier essai clinique in vivo est lancé fin 2024 – début 2025 sur des patients atteints de myélome multiple (un cancer du sang). Dès janvier 2025, un premier patient reçoit une dose de traitement ESO-T01 dans le cadre de cet essai de phase initiale, une étape qui constitue une première mondiale prometteuse pour cette technologie. Jean-Pierre Latere vise des résultats cliniques de preuve de concept dès fin 2025, et prévoit d’élargir le pipeline thérapeutique d’EsoBiotec à au moins trois produits en essai clinique d’ici 2027, y compris des indications contre des cancers solides jusqu’ici insensibles aux CAR-T classiques. L’objectif affiché est rien de moins que de devenir la première entreprise au monde à faire aboutir une thérapie CAR-T efficace contre les tumeurs solides, qui représentent 90 % des cancers diagnostiqués. Cette orientation stratégique place EsoBiotec à la pointe de la nouvelle vague d’immunothérapie, suscitant l’attention des grands acteurs du secteur.
Réalisations majeures et distinctions
Le pari scientifique de Jean-Pierre Latere et d’EsoBiotec va rapidement être couronné de succès et reconnu à l’échelle internationale. Le 17 mars 2025, le géant pharmaceutique AstraZeneca annonce un accord en vue d’acquérir EsoBiotec pour un montant pouvant atteindre 1 milliard de dollars. Cette transaction exceptionnelle, l’une des plus importantes pour une jeune entreprise biotech européenne, comprend un paiement initial de 425 millions de dollars et des paiements d’étape pouvant totaliser 575 millions supplémentaires en fonction des progrès de développement et des approbations réglementaires . Aux termes de l’accord, EsoBiotec deviendra une filiale à part entière d’AstraZeneca tout en conservant ses opérations en Belgique, et Jean-Pierre Latere restera à la tête de l’entreprise en tant que CEO pour continuer à mener la recherche et le déploiement de cette thérapie révolutionnaire. Cet aboutissement valide la vision de Latere : en l’espace de quelques années, il est parvenu à faire passer une idée née dans un laboratoire montagnard de Mont-Saint-Guibert au rang d’innovation de rupture convoitée par l’une des plus grandes pharmas mondiales. La presse belge n’hésite pas à le qualifier de « pionnier » de la biotech wallonne ayant « remporté le jackpot » grâce à sa recherche de pointe contre le cancer.
Au-delà de ce succès entrepreneurial majeur, Jean-Pierre Latere s’est distingué tout au long de sa carrière par ses contributions scientifiques de premier plan. Il est l’auteur ou co-auteur de plusieurs publications dans des revues internationales de référence. Par exemple, dès 2011 il cosigne un article de fond dans le Journal of the American College of Cardiology sur les méthodes pour augmenter la rétention des cellules injectées dans le myocarde, et en 2013 il participe à une étude publiée dans Circulation: Cardiovascular Interventions présentant un dispositif optimisé de délivrance de cellules souches cardiaques. Ces travaux de recherche, menés pendant la période Cardio3, ont contribué à faire progresser les techniques de thérapie cellulaire cardiaque. Par ailleurs, Jean-Pierre Latere est également inventeur sur plusieurs brevets liés aux technologies biomédicales qu’il a développées. Notamment, il figure comme co-inventeur sur le brevet d’un cathéter d’injection innovant déposé par Cardio3 Biosciences en 2010, aux côtés de Christian Homsy. L’ensemble de ces réalisations – qu’il s’agisse de découvertes scientifiques, d’innovations technologiques ou de réussites industrielles – lui ont valu une reconnaissance grandissante dans le milieu de la biotech. En 2023, le média African Shapers le cite comme le scientifique « qui a osé repousser les limites de la médecine pour réécrire le futur des traitements contre le cancer », et son parcours a été mis à l’honneur dans plusieurs publications et interviews inspirantes. Il a par exemple partagé son expérience et sa vision dans une longue interview pour InvestSud, soulignant l’importance de « toujours tenter à fond » et d’adopter une démarche résolument ambitieuse en innovation.
Rôle actuel dans l’écosystème biotech mondial
À ce jour, le Dr Jean-Pierre Latere occupe une place de premier plan dans l’écosystème biotech. Il continue de diriger EsoBiotec en tant que CEO, désormais au sein du giron d’AstraZeneca, avec pour mission de mener à bien le développement clinique de sa plateforme de thérapie in vivo et de la rendre accessible aux patients du monde entier. Son profil est atypique et emblématique d’une biotech globalisée : scientifique africain formé en Europe et aux États-Unis, entrepreneur en Wallonie soutenu par des investisseurs internationaux, il incarne le pont entre différents continents au service de l’innovation médicale. Désormais reconnu comme l’une des élites mondiales de la biotechnologie, Jean-Pierre Latere apporte une contribution unique à l’avancement des traitements contre le cancer. Son approche disruptive, consistant à traiter le cancer de l’intérieur du patient, pourrait bien redéfinir les standards de soins en oncologie dans les années à venir. Entouré d’une équipe internationale et soutenu par un leader pharmaceutique global, il joue un rôle moteur dans la convergence entre la recherche scientifique et son impact concret sur la santé humaine. L’histoire de Jean-Pierre Latere, partie de Lubumbashi pour aboutir à une percée médicinale d’envergure mondiale, illustre le pouvoir de l’audace et de la détermination dans la biotech moderne. Sa trajectoire, encore en plein essor, laisse présager de nouvelles avancées majeures pour la thérapie génique et cellulaire à l’échelle planétaire.
La Rédaction