L’Agence de régulation de la sous-traitance (ARSP), censée ouvrir l’économie congolaise à ses propres entrepreneurs, cristallise aujourd’hui les frustrations de ceux qu’elle était censée faire émerger. Dirigée par Miguel Kashal, l’institution accumule critiques et soupçons. À l’origine, la loi de 2017 obligeait les grandes entreprises à recourir à des sous-traitants congolais dans toutes les activités connexes. L’objectif était clair : rediriger une part importante des flux économiques vers les PME nationales, tout en créant une dynamique d’inclusion pour bâtir une classe d’affaires locale solide. 8 ans plus tard, les résultats peinent à convaincre, surtout dans les provinces les plus enclavées.
Dans le Kasaï Oriental, la colère monte. Plusieurs associations d’entrepreneurs dénoncent une captation des opportunités par une poignée d’acteurs proches de Kinshasa. Des entrepreneurs affirment avoir été écartés sans explication, alors que seuls cinq noms reviennent systématiquement dans les attributions de marchés au niveau local. Une délégation s’est même rendue dans la capitale pour rencontrer le DG de l’ARSP. Ces derniers, reçus officiellement, ont été présentés comme les représentants de toute une corporation régionale. Une pratique perçue comme une instrumentalisation. À la clé : une accumulation d’attestations bloquées, des dossiers restés six mois sans traitement pour de simples erreurs administratives, et l’impression générale d’un système verrouillé. Des cas comme ceux de SODECOM, AGREIL ou encore IMAC, dont les démarches stagnent depuis des mois malgré des recommandations officielles, illustrent cette inertie. L’ARSP n’a pas fourni de justification crédible.
La situation n’est guère plus reluisante ailleurs. En 2023, près de 1 200 sociétés de sous-traitance ont été radiées pour non-conformité. Si l’opération visait à assainir le secteur, elle a aussi suscité des interrogations. Selon plusieurs observateurs, certaines entreprises ont été écartées sans audit préalable clair, tandis que d’autres, notoirement soupçonnées d’être des prête-noms étrangers, ont poursuivi leurs activités sans être inquiétées. L’ARSP revendique 14 000 entreprises congolaises enregistrées en dix mois, contre 3 500 auparavant. Cette croissance, impressionnante sur le papier, ne dit rien de la qualité réelle des services, ni de leur accès aux marchés. Les entrepreneurs de Kolwezi ou de Likasi dénoncent toujours l’accaparement des contrats par les partenaires chinois de groupes miniers, comme Sicomines, malgré les menaces de sanctions formulées par Kashal en 2023.
Derrière l’agitation médiatique orchestrée par l’ARSP autour de la « libération » de la sous-traitance nationale, les signaux d’alerte s’accumulent. À Kinshasa, le bruit court qu’un audit interne aurait révélé des pertes non justifiées sur les redevances collectées, dont une part conséquente ne serait jamais arrivée dans les caisses du Trésor. Le 11 juin 2025, Miguel Kashal a été convoqué par l’Assemblée nationale pour s’expliquer sur des soupçons de gestion opaque. Il lui est reproché un pilotage solitaire, une communication confuse et un usage partisan des ressources publiques. Des députés évoquent des montants détournés, sans chiffres précis pour l’instant. Cette audition parlementaire pourrait marquer un tournant, tant l’enjeu de transparence devient central pour une institution censée réguler un secteur stratégique pesant plusieurs milliards de dollars.
Sur les réseaux sociaux, la communication autour du DG frôle la mise en scène. Pages de soutien, contenus sponsorisés, relais d’influenceurs : les accusations de propagande institutionnelle ne sont plus feutrées. Des budgets seraient alloués à la promotion personnelle du directeur, tandis que l’agence peine à financer les missions de contrôle sur le terrain. Une fracture croissante s’installe entre l’image projetée depuis Kinshasa et la réalité vécue dans les régions. Le malaise est tel qu’un retour de bâton politique se profile. Joseph Kabila a récemment dénoncé l’échec de la mise en œuvre de la loi, tandis que Kashal répliquait en accusant l’ancien régime d’avoir capturé le secteur de la sous-traitance au profit de clans familiaux, avec des pratiques dénoncées dans les Panama Papers.
Les chiffres officiels avancés par l’ARSP sont ambitieux. Selon ses déclarations, la mise en conformité du secteur aurait permis de rapatrier 2 milliards de dollars dans l’économie formelle. Une partie de ces montants proviendrait de contrats réattribués à des sociétés congolaises après la révocation d’agréments frauduleux dans le secteur minier. Dans les faits, le rapport parlementaire d’août 2023 estimait encore à 8 milliards de dollars les pertes annuelles pour l’État du fait de contrats signés hors du cadre légal. Ce fossé entre les objectifs initiaux de la loi et son impact réel interroge : les réformes ont-elles été instrumentalisées ? Les entrepreneurs congolais sont-ils véritablement les bénéficiaires de ce cadre réglementaire ? Ou assistons-nous à la naissance d’un nouveau monopole sous des habits patriotiques ?
Trop de décisions sont concentrées entre les mains d’un seul homme, là où une structure collégiale était attendue pour gérer une institution stratégique. Si la régulation économique se transforme en terrain de conquête personnelle, le risque est grand de voir les promesses d’inclusion tourner court. La loi de 2017 reste pertinente. Mais son application, sélective et sujette à manipulation, fragilise le chantier d’une économie congolaise moins dépendante et plus équitable. L’ARSP ne pourra regagner sa légitimité qu’en acceptant l’examen rigoureux de ses pratiques et en rompant avec les logiques de centralisation clientéliste qui minent sa crédibilité.
— M. KOSI