Le Centre hospitalier Monkole, référence médicale et pilier social à Kinshasa, met fin aux prestations gratuites de maternité et de néonatologie à partir du 7 juin. Une décision lourde, motivée par huit mois d’arriérés impayés de la part du Fonds de solidarité de santé, structure censée garantir le financement de la Couverture santé universelle (CSU) en République démocratique du Congo.
À travers un communiqué signé par ses responsables, l’établissement souligne l’impossibilité de maintenir des soins gratuits dans un contexte d’asphyxie budgétaire. Sans flux régulier de financement, ni prévisibilité dans les décaissements, la gratuité devient une utopie. Monkole n’est pas un cas isolé. D’autres structures confessionnelles comme celles de l’Église du Christ au Congo (ECC), de l’Église Kimbanguiste ou encore du Bureau diocésain des œuvres médicales (BDOM) ont également décidé de suspendre leur participation à la CSU.
Leur message est limpide : les paiements partiels, les retenues arbitraires sur les factures, et la livraison incomplète des médicaments ne permettent plus de garantir les soins de qualité que les patients attendent. Dans un courrier adressé au coordonnateur national du programme, ces établissements évoquent un climat de défiance croissante et des moyens insuffisants pour couvrir les services rendus.
La mécanique interne de la CSU, présentée comme une promesse phare du quinquennat de Félix Tshisekedi, semble aujourd’hui grippée. Le gouvernement congolais, qui s’était engagé à assurer la gratuité des soins pour les mères et les nouveau-nés, se retrouve confronté à l’épreuve de la faisabilité. La réalité des chiffres fait mal : certains hôpitaux ont vu leurs factures réglées à seulement 70%, avec des délais de paiement qui excèdent désormais six mois. Dans d’autres cas, les fonds destinés aux consultations ont été amputés d’un tiers pour des médicaments qui n’arrivent que partiellement.
Les conséquences s’annoncent graves. Pour les centres hospitaliers, c’est la continuité des services qui est compromise. Pour les usagers, ce sont des coûts à nouveau supportés par des ménages déjà fragilisés, en particulier dans les zones urbaines densément peuplées. Des études récentes montrent que près de 60 % des Congolais vivant en milieu urbain renoncent à se faire soigner par manque de moyens financiers, selon les données de l’Observatoire de la santé publique.
Le modèle actuel de la CSU, fortement dépendant du financement étatique et de la volonté politique, peine à convaincre. L’absence de mécanismes clairs pour le décaissement automatique, l’insuffisance de contrôle indépendant, et une gouvernance parfois floue affaiblissent la crédibilité du programme. La santé, pourtant inscrite dans la Constitution comme un droit, est ainsi ballottée entre idéaux politiques et contraintes de trésorerie.


Pour les professionnels du secteur, la situation actuelle ravive le souvenir d’un système de santé à deux vitesses : un minimum de soins pour les pauvres, et des prestations de qualité pour ceux qui peuvent payer. Les maternités, souvent saturées, risquent d’enregistrer une hausse des accouchements non médicalisés, avec les risques que cela implique pour les mères comme pour les nourrissons.
L’État congolais avait pourtant affiché une volonté de rupture, avec l’instauration progressive de la CSU. Mais sans assise budgétaire solide, ni partenariat durable avec les acteurs de terrain, le dispositif montre ses limites. Certaines voix au sein des ONG de santé communautaire plaident désormais pour une refonte du mécanisme de financement, à travers la création d’un fonds autonome, contrôlé par une instance mixte réunissant État, partenaires techniques et représentants des structures sanitaires.
Il reste peu de temps pour corriger le tir. Dans un contexte où la légitimité politique s’appuie aussi sur la capacité à tenir ses engagements sociaux, la CSU devient un test grandeur nature pour l’administration Tshisekedi. Restaurer la confiance passe par des actes concrets : paiement des arriérés, audit indépendant du système, révision des mécanismes de gestion et surtout, écoute des professionnels de terrain.
Car au bout de la chaîne, ce sont des vies humaines qui dépendent du bon fonctionnement du système. Des vies qu’on ne peut pas suspendre par communiqué.
— Peter MOYI






