Sur l’avenue Bokassa, les klaxons ne couvrent plus les cris de suspension. L’asphalte tout neuf a remplacé les pièges à roues. Le bitume noir de Kabinda renvoie la lumière du soleil, contrastant avec les murs défraîchis des bâtiments alentour. Chaque jour, des milliers d’habitants foulent ces artères refaites, raccourcissant leurs trajets, regagnant un peu de temps volé par les embouteillages chroniques. À Boyoma, M. Tshibwabwa Mbuyi, chef de quartier adjoint, calcule l’impact : « Cinq kilomètres, autrefois c’était trois quarts d’heure. Aujourd’hui, un quart suffit. »
Mais à peine l’élan pris, un obstacle se dresse. Les déchets. À mesure que les routes s’élargissent, les tas d’ordures aussi. Et leur présence menace déjà la durabilité des investissements réalisés. À Boyoma, l’appel des autorités locales est clair : 12 tricycles de collecte et trois sites de dépôt sont nécessaires pour éviter que les caniveaux fraîchement vidés ne se remplissent à nouveau de détritus. Ce besoin, chiffré dans un audit publié par l’Agence congolaise de presse en avril 2024, reflète une urgence environnementale qui colle aux pneus de cette modernisation urbaine.
Huit hectares ont été attribués à proximité du marché Liberté pour accueillir un centre d’enfouissement technique, d’après une annonce du ministère des Affaires foncières. Le projet est ambitieux, mais la coordination reste lacunaire. Les caniveaux curés dans le cadre du Projet d’Urgence pour la Résilience Urbaine (PURR), soutenu à hauteur de 15 millions USD par la Banque mondiale selon son rapport 2023, se transforment à vue d’œil en décharges à ciel ouvert.
Le chef de quartier Mbuyi se désole : « Le béton ne résout pas tout. Si on jette les plastiques dans les rigoles, un tuyau neuf se bouche comme un vieux. » Il plaide pour une responsabilisation de proximité. Son idée : officialiser 87 chefs de rue, leur confier l’organisation de campagnes d’hygiène publique. Loin d’un simple plaidoyer, il propose des mesures concrètes : des brigades de propreté actives, épaulées par la police et les services sanitaires, avec pouvoir de verbalisation. Pour lui, l’impunité est la vraie passoire du progrès : « Sans amendes, nos efforts filent comme les eaux usées. »
Sur le terrain, les commerçants mesurent déjà les bénéfices. À Kabinda, là où les crevasses isolaient les stands du flux des clients, les ventes auraient bondi de 30 %, selon une estimation avancée par l’association locale des commerçants. L’accessibilité redonne vie aux petits commerces, fait circuler la monnaie et ranime les ambitions. Mais cette embellie reste fragile. Ce qu’une route peut créer, les ordures peuvent vite défaire.
Un urbaniste contacté pour avis, qui a requis l’anonymat, résume le paradoxe avec sobriété : « Une belle route, c’est bien. Mais si elle ne permet pas d’évacuer les eaux et les déchets, elle ne fait que déplacer les problèmes. » La voirie n’est qu’un début. Il faut penser l’ensemble du système, comme on penserait un corps humain : les artères rénovées ont besoin de veines fonctionnelles pour évacuer les toxines. Sans cela, la ville reste malade, même si elle marche mieux.
Kinshasa avance. Mais pour transformer l’essai, il faudra aller au-delà du goudron et repenser la gestion de la ville comme un tout, où l’éducation citoyenne, la répression ciblée et l’infrastructure ne forment pas des pièces détachées, mais les composantes d’une même machine urbaine.
— Peter MOYI






