Kinshasa mise sur un fonds alimenté par les importations pour accélérer l’électrification

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Teddy Luamba

Un projet inattendu est sur la table du gouvernement congolais : créer un fonds de développement du secteur électrique, alimenté par les frais d’importation d’énergie. Présentée lors du Conseil des ministres du 25 juillet, cette mesure viserait à financer des projets capables de réduire la dépendance du pays à l’électricité venue de l’étranger et d’accroître la participation de l’État dans le secteur. En clair, chaque kilowatt importé d’Angola ou d’ailleurs contribuerait à financer des barrages, des lignes ou des centrales en RDC.

L’idée intervient alors que le pays reste l’un des moins électrifiés d’Afrique. Selon l’ONG Resource Matters, moins de 10 % des Congolais disposent d’un accès à l’électricité, avec des disparités vertigineuses : environ 35 % des habitants des villes, dont la moitié des Kinois, sont connectés contre moins de 1 % des ruraux. Une autre étude de la même organisation rappelle que moins de 20 % des plus de 80 millions d’habitants ont accès au courant, concentré autour de Kinshasa et des zones minières. Cet écart abyssal explique la grogne de plusieurs acteurs de la société civile, comme le réseau Mwangaza, qui dénonçait fin 2024 la chute du taux d’accès de 9 % à 7 % en quinze ans.

Un réseau congolais sous pression et des interconnexions à bâtir

Dans ce contexte, le ministre des Ressources hydrauliques et Électricité, Teddy Luamba, a détaillé les avancées du projet d’interconnexion électrique avec l’Angola. Les discussions avec des opérateurs privés ont permis d’identifier cinq options d’interconnexion jugées prioritaires. Parallèlement, un autre chantier se précise sous l’égide de l’Autorité de régulation du secteur de l’électricité (ARE) : une étude de faisabilité pour une ligne de transport de 400 kV reliant la République du Congo, l’Angola et la RDC. Réunis à Kinshasa le 23 juin, les experts du régulateur, du cabinet Cowater et du Pool énergétique d’Afrique centrale ont évoqué deux corridors possibles : l’un passant par Pointe‑Noire, Cabinda et Inga, l’autre reliant Pointe‑Noire, Maluku et Kinshasa. Le calendrier prévoit un atelier de validation des données le 10 juillet, la remise du rapport de faisabilité en août et la présentation d’un avant‑projet sommaire en octobre.

Ces projets ne sont pas isolés. Dans une perspective plus large, la « Boucle de l’amitié énergétique » portée par l’Union européenne ambitionne de mettre en service en 2025 une ligne de 1 400 kV reliant la République du Congo, la RDC et l’Angola. Aujourd’hui, la seule interconnexion de haute tension entre le Congo et la RDC est une ligne de 220 kV longue de 60 km. La nouvelle boucle traverserait Inga, Moanda, Boma, Cabinda, Pointe‑Noire et Brazzaville avant de revenir à Kinshasa, renforçant la sécurité d’approvisionnement de l’ensemble de la région.

Pour Teddy Luamba, il est urgent de sécuriser des couloirs de transport d’électricité via le Lualaba et le Kongo Central et de négocier un traité bilatéral avec Luanda afin d’assurer la stabilité des importations à long terme. Ce traité deviendrait le socle d’un partenariat durable avec l’Angola, pays qui dispose d’un excédent d’environ 750 MW grâce à la centrale à cycle combiné de Soyo.

Attirer les investisseurs pour financer la transition

Au‑delà de l’option du fonds, le succès de ces projets reposera sur la capacité du pays à mobiliser des capitaux. Dr Sandrine Mubenga, directrice générale de l’ARE, rappelait lors de l’Africa Energy Forum à Cape Town en juin 2025 que la RDC participe à six panels pour partager son expérience et inviter les investisseurs à soutenir l’électrification nationale. Elle expliquait avoir noué des contacts prometteurs lors d’un précédent sommet à Washington : « Nous avons rencontré des acteurs financiers intéressés par le financement de lignes de transport, ce qui se concrétise aujourd’hui par des discussions avancées à Kinshasa. » Une manière de montrer que le régulateur cherche à convaincre les bailleurs internationaux de parier sur le potentiel hydroélectrique du Congo.

Reste que ces annonces devront se traduire sur le terrain. L’idée d’un fonds alimenté par les frais d’importation sera discutée au Parlement et nécessitera un cadre juridique clair. Sa mise en œuvre pourrait soulager les finances publiques en finançant des projets structurants, mais il faudra veiller à ce qu’il n’alourdisse pas la facture des ménages, déjà durement touchés par la rareté de l’électricité.

Si elle aboutit, la stratégie congolaise combinerait des interconnexions régionales pour sécuriser l’approvisionnement à court terme et un financement domestique pour développer des capacités propres à moyen et long termes. Dans un pays où des millions de foyers vivent encore dans l’obscurité, ce serait un tournant.

— M. MASAMUNA

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