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Un MOU pour une autoroute interprovinciale : Kinshasa mise sur le privé pour désenclaver le territoire

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La République démocratique du Congo amorce un chantier aux ambitions colossales : la construction d’une autoroute circulaire nationale, censée relier la quasi-totalité de ses provinces. Le 20 juin 2025, un protocole d’accord a été signé à Kinshasa entre l’Agence de pilotage, de coordination et de suivi des conventions (APCSC) et la société CETTI/Finances SA Co, émanation du groupe saoudien Ibrahim Okogo. Derrière ce geste diplomatique, se profile un projet logistique à fort impact macroéconomique, encore suspendu aux étapes de structuration financière et d’ingénierie.

L’infrastructure envisagée adopte une configuration à deux axes : un tracé ouest-est reliant Kinshasa, le Kwango, le Kwilu, les deux Kasaï et le Haut-Katanga, prolongé par un circuit nord-est-ouest incluant le Tanganyika, le Maniema, le Sud-Kivu, le Nord-Kivu, avec retour vers la capitale. L’objectif est clair : réduire les coûts de transport, fluidifier les corridors commerciaux internes, améliorer l’accès aux marchés et renforcer la continuité territoriale dans un pays où moins de 2 800 km de routes nationales sont bitumés pour un territoire de 2,3 millions de km².

Le montage du projet repose sur un partenariat public-privé, dont les contours exacts n’ont pas encore été révélés. Si aucun chiffre n’est officiellement avancé, des projets analogues en Afrique subsaharienne — tels que les autoroutes Lagos-Calabar ou Abidjan-Lagos — affichent des enveloppes comprises entre 5 et 9 milliards de dollars pour des linéaires de 1 000 à 1 500 kilomètres. À titre de comparaison, la construction de 100 km d’autoroute en RDC coûte en moyenne entre 25 et 30 millions USD, selon les estimations de la Banque africaine de développement. Transposée à une boucle nationale de plus de 3 000 km, la facture prévisible dépasserait largement 7 milliards USD, hors frais de maintenance, de sécurité et d’expropriations.

Ce projet intervient alors que la RDC peine encore à structurer une politique budgétaire cohérente en matière d’infrastructures. En 2024, moins de 12 % du budget national a été consacré aux investissements publics, dont la moitié absorbée par des engagements déjà contractés dans le secteur énergétique. L’option d’un partenariat avec un acteur privé saoudien traduit une volonté de contourner les contraintes de trésorerie et d’éviter une pression accrue sur le solde budgétaire, déjà affecté par les subventions au carburant et la dette intérieure flottante, estimée à près de 3 % du PIB.

Mais la faisabilité technique ne se limite pas à l’équation financière. La RDC reste exposée à une instabilité sécuritaire chronique à l’est, où plusieurs zones prévues dans le tracé restent sous contrôle de groupes armés. À cela s’ajoutent des défis structurels : faiblesse des études topographiques disponibles, absence d’une cartographie cadastrale fiable, réseaux de télécommunication encore embryonnaires dans les provinces reculées. Toute tentative de déploiement d’un chantier d’une telle envergure devra composer avec ces contraintes physiques et institutionnelles.

Les responsables de l’APCSC insistent sur l’effet d’entraînement attendu : développement des pôles agricoles enclavés, désengorgement des grands centres urbains, stimulation du commerce interprovincial et création d’emplois dans le secteur du BTP. Ces promesses, récurrentes dans la rhétorique publique congolaise depuis plus d’une décennie, n’ont pas toujours été suivies de réalisations concrètes. En témoigne le projet Kinshasa-Brazzaville, toujours bloqué, ou encore la route Bukavu-Goma, interrompue par des litiges fonciers et un financement partiel.

L’autoroute circulaire pourrait pourtant devenir une pièce maîtresse de la stratégie de développement territorial si elle franchit le cap des intentions. Encore faut-il passer de la signature du protocole à la mise en œuvre opérationnelle, avec un calendrier clair, un plan de financement audité et une gouvernance contractuelle crédible. Les investisseurs internationaux seront particulièrement attentifs à la sécurisation du cadre juridique, à la garantie des recettes liées aux péages et à la stabilité monétaire, dans un contexte où le franc congolais a perdu plus de 14 % de sa valeur face au dollar en un an.

Rien ne garantit que le chantier débute avant 2027. Mais pour l’exécutif, ce protocole d’accord signé avec un groupe saoudien aux reins solides permet d’envoyer un signal aux bailleurs et partenaires étrangers : la RDC veut se positionner comme un pays de transit et d’intégration régionale. Pour cela, elle devra convaincre que cette autoroute ne restera pas un simple projet de papier.

— Peter MOYI

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