Le 3 avril 2025, à l’issue d’une réunion technique du comité national chargé de la mise en œuvre de la Zlecaf, le ministre de Commerce extérieur, Julien Paluku annonçait, fiches en main, ce que l’on présente comme un tournant stratégique : la suppression progressive, d’ici à 2031, des droits de douane sur 6 230 produits importés des pays africains membres de la Zlecaf.
Une bouffée de libéralisme économique ? Pas tout à fait. Car seulement 209 produits – à peine 3 % – resteront sous protection tarifaire. Traduction : la RDC s’ouvre presque à nu, espérant que la marée du commerce continental la portera au lieu de l’engloutir.
Le hic, c’est que les fameuses listes – produits libéralisés d’un côté, protégés de l’autre – n’ont pas été rendues publiques. Officiellement, elles ont été élaborées « en concertation avec le secteur privé » avant d’être expédiées au secrétariat de la Zlecaf. Mais dans les marchés de Kinsasha (oui, avec un “s”, comme on l’entend parfois dans la rue), les commerçants restent dans le flou.
« On nous parle d’opportunités, mais on ne sait même pas ce qui va entrer sans taxes. Comment préparer les stocks ? », s’inquiète une grossiste du marché Gambela.
Cette opacité nourrit un soupçon : la RDC s’est-elle bien préparée à cette ouverture ? Ou va-t-elle encore subir un projet panafricain sans y jouer un rôle actif ?
L’origine du produit, nerf de la guerre
Dans cette architecture commerciale, les règles d’origine seront décisives. Julien Paluku l’a martelé : seuls les biens composés à 70 % minimum de matières provenant d’un pays membre seront exonérés. Une mesure censée éviter que des produits asiatiques maquillés en étiquettes africaines ne traversent le continent sans payer leur dû.
Mais sur le terrain, ce seuil suscite des doutes.
« Nos unités de transformation tournent au ralenti. Où va-t-on trouver 70 % de composants locaux ? », interroge un fabricant de Lubumbashi, sous couvert d’anonymat.
Les zones économiques spéciales (ZES), présentées comme le moteur industriel de demain, peinent encore à faire décoller la fusée congolaise. Le parc de Maluku, vanté depuis 2018, n’atteint pas 40 % de sa capacité. Celui de Kolwezi attend encore ses premières chaînes de montage.
Au-delà des tarifs, le commerce, c’est surtout de l’asphalte, des rails, de l’électricité. Sur ce terrain, la RDC joue avec un handicap sévère. Moins de 3 000 km de routes asphaltées pour un pays grand comme l’Europe de l’Ouest. Des lignes ferroviaires qui datent de l’époque coloniale. Et des délestages électriques fréquents dans la ceinture minière.
« Tu peux produire des chaussures à Kisangani, mais sans train ni route fiable, elles coûteront plus cher à Kinshasa que les sandales chinoises », ironise un économiste basé à Bukavu.
Le ministre Paluku, lucide, a d’ailleurs admis que sans infrastructures solides, la Zlecaf restera une vitrine sans boutique.
Selon une note interne de la Banque centrale obtenue par Lepoint.cd, les flux commerciaux informels vers le Kasaï ont augmenté de 40 % entre janvier et décembre 2023, notamment en raison des restrictions tarifaires avec l’Angola. L’intégration à la Zlecaf pourrait assainir ces échanges – ou les amplifier en les légalisant.
Mais pour cela, encore faudrait-il communiquer clairement. Car à ce stade, ni les listes officielles ni les projections économiques ne sont disponibles. Le ministère semble jouer la montre.
Alors, à quoi faut-il s’attendre ?
L’économie congolaise tangue comme une pirogue sur le fleuve face aux vents monétaires. L’ouverture promise par la Zlecaf peut être une voile ou un trou dans la coque.
D’ici à 2031, la RDC doit choisir : se préparer sérieusement ou se faire absorber. La suppression des droits de douane ne suffira pas. Il faut industrialiser, transporter, électrifier, former. Et vite.
Par M.KOSI
Lepoint.cd – Économie & Décryptage






