La décision américaine d’alourdir les droits de douane sur l’aluminium importé commence déjà à bousculer les équilibres mondiaux. À compter du 4 juin, Washington a doublé ses taxes à l’importation, les faisant passer de 25 % à 50 %. Résultat immédiat : les primes ont explosé aux États-Unis, atteignant des niveaux jamais enregistrés, alors que le marché européen reste étonnamment stable.
Dans le Midwest américain, la réaction ne s’est pas fait attendre. Les primes spot ont bondi à 51-54 cents la livre, contre 40-42 cents la veille, soit une hausse brutale de 28 % en une seule journée. Il s’agit du niveau le plus élevé depuis la mise en place initiale des tarifs douaniers par l’administration Trump en 2018. Ce retour à une politique commerciale agressive semble indiquer une volonté de relancer la production locale, au détriment des flux transatlantiques.
Du côté de l’Europe, c’est le calme plat. À Rotterdam, principal hub de négoce pour les métaux non ferreux, les primes restent ancrées autour de 220 à 230 dollars par tonne, en ligne avec les niveaux des dernières semaines. Les opérateurs sur place évoquent un marché peu réactif, où l’abondance relative de l’offre combinée à une demande atone empêche toute flambée. L’écart entre les deux continents se creuse, reflétant des logiques de marché désormais divergentes.
Un trader basé à Genève résume la situation :
« Les États-Unis sont en train de reconstituer leur mur tarifaire, mais l’Europe ne suit pas, elle absorbe l’impact autrement. »
L’effet immédiat de cette mesure américaine est de rediriger une partie des volumes européens vers d’autres marchés, notamment asiatiques, où la demande reste soutenue. Plusieurs traders européens ont indiqué une recrudescence de l’intérêt en provenance d’acheteurs indiens et turcs depuis l’annonce américaine.
Derrière cette flambée américaine, c’est toute la chaîne de valeur qui risque d’être impactée. Les industriels utilisateurs d’aluminium – automobile, aéronautique, électronique – redoutent déjà une répercussion sur leurs coûts de production. Si l’aluminium primaire devient plus cher aux États-Unis, cela pourrait provoquer un effet domino sur les prix des produits semi-finis.
À noter également : la prime de Rotterdam, stable aujourd’hui, pourrait à moyen terme être influencée par les réajustements logistiques. Si les exportations vers les États-Unis deviennent moins compétitives, certains producteurs européens pourraient devoir baisser leurs prix pour écouler les surplus, ce qui accentuerait la pression sur les marges locales.
Selon les dernières données de la London Metal Exchange, le cours du métal reste relativement inchangé, autour de 2 540 dollars la tonne, preuve que l’annonce américaine n’a pas, pour l’instant, affecté le prix de base. Ce décalage entre la prime régionale et le prix global confirme que l’impact est avant tout géographique et politique.
Dans ce climat tendu, les arbitrages commerciaux prennent une nouvelle dimension. Certains importateurs américains reconsidèrent déjà leurs fournisseurs. Le Canada, exempté des nouvelles hausses tarifaires en vertu de l’accord CUSMA, pourrait bénéficier d’un regain d’intérêt, tout comme certains producteurs domestiques qui pourraient être incités à relancer leurs capacités en sommeil.
La stratégie américaine, relancée dans un contexte électoral, semble viser une revalorisation de la filière aluminium nationale. Mais cette orientation unilatérale n’est pas sans conséquences : en ciblant les importations, les États-Unis renforcent la fragmentation du marché mondial, tout en alimentant des tensions commerciales avec leurs partenaires.
Reste à savoir si cette pression haussière s’ancrera dans la durée ou s’il s’agit d’un pic conjoncturel. Pour l’heure, les industriels et négociants observent avec prudence, dans l’attente d’éventuelles contre-mesures européennes ou d’un rééquilibrage des flux mondiaux.
— Peter MOYI






