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L’exportation de café et cacao congolais suspendue : des milliers de familles en péril

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Depuis plusieurs semaines, une inquiétude sourde parcourt les zones agricoles de l’Est de la République démocratique du Congo. À Beni, Mambasa et dans d’autres localités d’Ituri, les producteurs de café et de cacao s’interrogent : comment survivre à la suspension des exportations vers l’Union européenne ? La mesure, prise en décembre dernier, frappe un secteur crucial pour l’économie locale, mais aussi pour des milliers de familles dont le quotidien repose sur ces cultures.

À première vue, la décision de l’UE repose sur des arguments environnementaux. La RDC figure désormais sur une liste noire des pays accusés de pratiques contribuant à la déforestation. Pourtant, sur le terrain, les acteurs du secteur dénoncent une injustice. « Nous avons des entreprises et des coopératives certifiées qui respectent les normes internationales. Pourquoi pénaliser tout le monde ? » s’indigne un opérateur économique de Mambasa, dont l’entrepôt regorge de sacs de fèves prêtes à l’exportation.

Cette situation est d’autant plus critique que la filière représente une manne financière essentielle pour la région. On estime que près de 300 000 tonnes de cacao et de café sont produites chaque année dans cette partie du pays. Ces produits, largement destinés aux marchés européens, garantissent des revenus non seulement aux agriculteurs, mais aussi à l’État, qui perçoit des taxes substantielles sur leur exportation.

Pour Serge Kambale, agriculteur et spécialiste du secteur, il est absurde de faire porter à ces cultures la responsabilité de la déforestation : « Il y a une distinction claire entre les terres agricoles et les zones protégées. Dire que notre café et notre cacao détruisent l’environnement, c’est méconnaître la réalité locale. » Dans ses propos, pointe aussi un appel : celui d’un soutien accru du gouvernement pour défendre les intérêts des producteurs congolais sur la scène internationale.

La mesure européenne ne se contente pas de paralyser l’exportation. Elle exacerbe aussi les fragilités structurelles déjà bien présentes. L’insécurité dans les zones de production, notamment à Beni et Mambasa, limite le contrôle des filières et favorise les pratiques informelles. Ces dernières, souvent échappant aux normes, contribuent indirectement à des phénomènes tels que la déforestation. Cependant, pour beaucoup, il s’agit davantage d’un problème de gouvernance que d’une réalité imputable à l’ensemble du secteur.

Face à cette crise, le gouvernement congolais a promis de réagir. Julien Paluku, ministre du Commerce extérieur, a récemment évoqué l’idée d’un dialogue tripartite impliquant l’Union européenne, la MONUSCO et les autorités congolaises. Ce cadre, espère-t-il, permettra de démontrer que les pratiques agricoles congolaises ne sont pas à l’origine des dégâts environnementaux dénoncés. Une issue favorable pourrait ouvrir la voie à un rétablissement des exportations et, par ricochet, à un soulagement pour des milliers de foyers vivant de la filière café-cacao.

L’urgence est là, palpable dans les paroles des producteurs et les chiffres alarmants rapportés par les opérateurs économiques. En 2023, plus de 62 000 tonnes de café et de cacao ont quitté les ports de la région. Un chiffre qui pourrait s’effondrer si la situation perdure.

Dans un contexte déjà tendu, les agriculteurs congolais redoutent que la suspension des exportations ne soit qu’un avant-goût de restrictions plus larges visant les produits de base des pays en développement. Le café et le cacao, symboles de leur résilience et de leur savoir-faire, pourraient bien devenir des otages d’un combat environnemental dont les règles sont dictées à des milliers de kilomètres.

Peter MOYI

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