Par Mitterrand Masamuna, Journaliste économique
Le Sénégal, nation africaine en pleine effervescence sur la scène pétro-gazière, se penche sur un défi économique et environnemental de taille : comment développer ses importants gisements d’hydrocarbures tout en réduisant les émissions résultant des opérations pétrolières et gazières. Alors que la production de ces précieuses ressources est prévue pour 2024, l’attention se tourne vers les retombées financières potentielles pour le gouvernement, l’amélioration de l’accès à l’énergie pour la population, et la nécessité de minimiser les impacts néfastes sur la santé et l’environnement des communautés locales.
Dans un rapport édifiant publié le 7 septembre dernier, l’ONG renommée, l’Institut de la Gouvernance des Ressources Naturelles (NRGI), a souligné l’impératif de réduire les émissions issues des activités pétrolières et gazières au Sénégal. Intitulé « Minimiser les Émissions des Opérations Pétrolières : Pourquoi la Société Sénégalaise Devrait S’en Préoccuper », ce rapport met en lumière le fait que même si la majeure partie des émissions de gaz à effet de serre résulte de la combustion des hydrocarbures pour la production d’énergie, les émissions issues des opérations pétrolières et gazières restent significatives, contribuant ainsi à hauteur de 15 à 20 % des émissions mondiales.
Parmi ces émissions, près de la moitié sont constituées de méthane, un puissant gaz à effet de serre. Les entreprises du secteur relâchent du méthane lors de la décharge, du torchage, ou des fuites de pipelines, mettant en lumière un enjeu environnemental majeur.
La montée en puissance de l’industrie pétro-gazière sénégalaise intervient dans un contexte de crise climatique mondiale et de transition énergétique. Ainsi, le rapport de la NRGI souligne que le gouvernement sénégalais, la société civile et le grand public devraient accorder une attention particulière aux émissions issues de ces activités, pour diverses raisons.
Premièrement, la réduction de ces émissions peut renforcer la compétitivité des projets pétroliers et gaziers, répondant à une pression croissante de la part des gouvernements, des investisseurs, et des clients en faveur de la réduction des émissions, à la fois de produits et d’opérations. L’extension des taxes carbone aux émissions de production pourrait devenir une réalité, ce qui impacterait directement les projets en cours et à venir.
Les investisseurs et les clients, notamment les principaux acheteurs de gaz naturel liquéfié en Asie, exercent déjà une pression considérable sur les entreprises pétrolières et gazières pour améliorer leurs pratiques, menaçant de retirer leurs investissements en l’absence de mesures appropriées. Par conséquent, des émissions élevées pourraient décourager les investissements dans les projets sénégalais en développement, entraînant une réduction des financements externes pour les projets de conversion du gaz en électricité, cruciaux pour l’accès à l’énergie à l’échelle nationale.
Alors que le financement de l’infrastructure de conversion du gaz en électricité est déjà incertain, la concurrence pour son obtention demeure féroce. Ainsi, des émissions substantielles provenant des opérations pétro-gazières au Sénégal pourraient gravement compromettre les ambitions nationales en matière d’accès universel à l’énergie.
De plus, une baisse des investissements dans le secteur pétro-gazier pourrait inciter Petrosen, la compagnie pétrolière nationale du Sénégal, à prendre des risques financiers considérables dans des projets potentiellement non rentables.
Outre les implications économiques, des émissions élevées provenant de la production d’hydrocarbures pourraient réduire l’accès au financement pour d’autres domaines essentiels au développement durable. L’identification des « super-émetteurs » et des « bombes de méthane » gagne en notoriété, avec des appels à imposer des pénalités aux émetteurs de méthane, conditionnant ainsi l’accès aux prêts de la Facilité pour la Résilience et la Durabilité (RSF) du FMI, un mécanisme visant à aider les pays à revenu faible ou intermédiaire à relever les défis structurels, notamment le changement climatique.
En outre, les émissions de méthane au Sénégal représentent une opportunité économique inexploitée. L’Agence Internationale de l’Énergie estime que le volume actuel de méthane pouvant être réduit dans les opérations pétro-gazières d’Afrique subsaharienne équivaudrait à environ 14 % de la production totale de gaz de la région, si ce méthane pouvait être capté et utilisé.
Ce gaz pourrait être exporté pour générer des revenus gouvernementaux supplémentaires, ou bien utilisé à l’échelle nationale pour améliorer l’accès à l’énergie et stimuler la production industrielle. À titre d’exemple, au Nigeria, le gaz brûlé a dépassé l’approvisionnement intérieur en gaz pendant une grande partie des deux dernières décennies, soulignant le potentiel économique considérable associé à une utilisation plus efficace du méthane.
Parallèlement à ces bénéfices économiques, la réduction des émissions liées à l’exploitation des gisements d’hydrocarbures peut également limiter les effets délétères de la production sur la santé des populations et sur l’environnement. Les impacts sur la santé et l’environnement des communautés vivant à proximité des sites d’extraction de pétrole et de gaz sont de plus en plus manifestes. Par exemple, au Nigeria, le torchage de gaz a provoqué des maladies respiratoires, de la fièvre, des pluies acides, et des vagues de chaleur ayant des conséquences néfastes sur les terres agricoles
et la biodiversité.
En outre, la minimisation des émissions s’inscrit dans la lutte contre le changement climatique, une préoccupation majeure alors que le Sénégal se classe au 37ème rang parmi 185 pays en termes de vulnérabilité aux dérèglements climatiques.
Le gouvernement sénégalais a déjà entamé des mesures visant à réduire les émissions liées à la production d’hydrocarbures, mais il est essentiel d’envisager un renforcement du cadre réglementaire. Par exemple, le Code de l’Environnement interdit le torchage et les émissions fugitives, mais la mise en œuvre de mécanismes de contrôle et de sanctions pour le méthane reste floue.
La collecte de données d’émissions et leur divulgation par les entreprises exigent également une attention soutenue. Le gouvernement pourrait imposer aux entreprises de partager leur méthodologie d’estimation des émissions, tout en veillant à la transparence dans la divulgation des émissions réelles une fois la production commencée.
L’Institut de la Gouvernance des Ressources Naturelles souligne par ailleurs la nécessité d’une plus grande transparence pour garantir la reddition de comptes. Dans un souci de transparence, le gouvernement devrait veiller à ce que le cadre réglementaire actuel soit accessible au public, notamment les annexes du Code pétrolier de 2019 traitant de la minimisation des émissions, actuellement non disponibles au grand public.
Dans un pays où l’essor du secteur pétro-gazier peut apporter des avantages économiques considérables, l’optimisation des émissions issues de ces activités revêt une importance primordiale, non seulement pour l’environnement, mais également pour l’économie sénégalaise. Les décisions prises aujourd’hui auront des répercussions significatives sur le futur du pays et de ses citoyens.