Huit heures d’audition. Le ministre congolais de la Justice, Constant Mutamba, a été entendu pour la seconde fois par le Parquet général près la Cour de cassation ce 6 juin, dans une affaire sensible touchant à la gestion d’un financement public de 19 millions de dollars destiné à une infrastructure pénitentiaire à Kisangani. Le dossier, désormais entre les mains de la justice, explore les contours financiers et administratifs de ce projet devenu polémique.
Derrière les murs du Parquet, l’avocat général Sylvain Kalwila a mené une série d’interrogations ciblées, notamment sur la procédure de passation du marché — attribué sans appel d’offres — et sur le sort de la somme allouée. L’enquête s’appuie sur des éléments transmis par la Cour des comptes et fait suite à une autorisation d’audition émise par l’Assemblée nationale le 29 mai. Cette dernière a donné feu vert au Parquet pour interroger le ministre sur des soupçons de détournement de fonds publics, dans un contexte où les exigences de transparence budgétaire sont de plus en plus mises en avant par les institutions internationales.
En dehors du bâtiment judiciaire, le climat était moins feutré. Plusieurs dizaines de sympathisants du ministre, venus lui manifester leur appui, ont été dispersés par des unités de police à l’aide de gaz lacrymogène, soulignant la tension politique que suscite ce dossier. Le précédent interrogatoire, tenu le 3 juin, avait déjà attiré l’attention médiatique, mais cette seconde audition semble marquer une intensification de l’instruction.
Le cœur de l’affaire porte sur un financement approuvé dans le cadre d’un programme de modernisation des établissements pénitentiaires. Officiellement, les 19 millions de dollars auraient été débloqués pour répondre à la surpopulation carcérale et à la vétusté des infrastructures à Kisangani. Mais les enquêteurs s’interrogent sur la traçabilité de ces fonds. Le projet, qui devait démarrer dès 2023, n’affiche à ce jour aucun avancement visible. Aucun appel d’offre n’a été publié, aucun début de travaux signalé.
Pour le Parquet, deux scénarios se dessinent. Si les investigations n’établissent aucune infraction, le dossier pourrait être classé. Mais en présence d’indices jugés suffisamment probants, une nouvelle demande de levée d’immunité pourrait être adressée au bureau de l’Assemblée nationale, en vue de poursuites judiciaires. Une telle requête mettrait Constant Mutamba dans une position délicate, à quelques mois des arbitrages budgétaires de mi-année où le gouvernement s’efforce de montrer patte blanche sur la gestion des dépenses publiques.
Le cas du projet carcéral de Kisangani relance par ailleurs la question récurrente des marchés publics conclus de gré à gré en RDC. Selon les chiffres publiés en avril 2024 par l’Observatoire de la Dépense Publique (ODEP), près de 61 % des marchés supérieurs à 1 million de dollars en 2023 ont été attribués sans appel à la concurrence, une pratique pourtant encadrée strictement par la loi sur les marchés publics. L’opacité des procédures et l’absence de contrôle parlementaire systématique alimentent la méfiance d’une partie de la population et des bailleurs internationaux.
Les auditions reprendront lundi 9 juin. D’ici là, le ministre Mutamba demeure présumé innocent, mais politiquement fragilisé. L’issue du dossier dépendra des conclusions de l’enquête, mais elle marquera sans doute un précédent dans la manière dont les hautes fonctions exécutives sont appelées à répondre de leur gestion devant les juridictions compétentes.
— M. KOSI






