Dix-neuf années se sont écoulées depuis l’inscription de la Caisse nationale de péréquation (CNP) dans la Constitution congolaise. Dix-neuf années de silence institutionnel, d’attente provinciale et de défaillance politique. Aujourd’hui, le Gouvernement Suminwa annonce un premier décaissement de 20 millions de dollars américains pour amorcer l’opérationnalisation de cette structure censée réduire les inégalités territoriales. Mais que vaut une telle annonce dans un pays où les promesses financières sont souvent aussi éphémères que les projets non exécutés ?
La relance de la CNP, défendue au Sénat par le Ministre des Finances, Doudou Fwamba, arrive dans un contexte budgétairement contraint, dominé par une pression sécuritaire à l’Est, une masse salariale hors de contrôle et un appareil étatique qui peine à maîtriser ses engagements. L’initiative semble, de prime abord, répondre à un besoin réel : répartir équitablement les richesses et compenser les retards de développement des provinces enclavées. Pourtant, une analyse plus fine invite à la prudence.
Le montant annoncé — 20 millions USD —, rapporté au budget global de l’État évalué à plus de 16 milliards USD en 2025, représente à peine 0,12 % des prévisions budgétaires. Une goutte d’eau dans un désert de besoins. Peut-on sérieusement espérer corriger un déséquilibre territorial vieux de plusieurs décennies avec un décaissement symbolique et tardif ? La réalité, c’est qu’aucune étude d’impact territorialisée n’a été communiquée, aucun mécanisme clair de sélection des projets n’est présenté, et surtout, aucun organe opérationnel décentralisé n’est prêt à absorber efficacement ces fonds.
L’autre problème majeur, c’est l’architecture institutionnelle. Le ministre affirme que la CNP n’a pas vocation à gérer directement les projets, mais à les financer. Fort bien. Mais vers qui iront les fonds ? Vers des exécutifs provinciaux notoirement affaiblis, souvent englués dans des querelles de gouvernance ou paralysés par des cadres administratifs insuffisamment formés ? Vers des agences d’exécution, elles-mêmes en mal de transparence ? Dans un tel contexte, cette volonté de ne pas faire de la CNP une entité de gestion pourrait rapidement se transformer en alibi pour masquer l’opacité de l’allocation.
Sur le fond, cette décision laisse planer une autre interrogation : pourquoi maintenant ? Pourquoi réveiller un mécanisme constitutionnel ignoré depuis près de deux décennies, dans une période préélectorale marquée par des tensions sociales et un besoin accru de gestes populistes ? La coïncidence interroge, surtout quand elle s’accompagne d’une communication politique soutenue mais sans planification détaillée.
À cela s’ajoute un risque évident de fragmentation des efforts de développement. Alors que le pays peine déjà à coordonner ses interventions dans des secteurs clés comme l’éducation, la santé ou l’eau, rajouter une structure de financement sans synergie avec les autres mécanismes budgétaires pourrait créer des redondances et des gaspillages. Aucune articulation claire n’est faite avec les plans provinciaux de développement ni avec les fonds d’investissement sectoriels existants.
Enfin, il convient de poser une question qui dérange : et si cette opérationnalisation annoncée de la CNP n’était qu’une manœuvre d’affichage budgétaire ? Une ligne de dépenses facilement mobilisable pour montrer que « quelque chose » est fait, sans obligation réelle de résultats. Dans un système où la reddition des comptes est encore embryonnaire, où les mécanismes d’évaluation ex post sont quasiment inexistants, ce risque est loin d’être théorique.
Le réveil de la CNP est peut-être salutaire sur le principe. Mais il sent l’improvisation, le manque de transparence et la déconnexion par rapport aux capacités actuelles de gestion locale. L’État ne peut plus se contenter de signer des chèques politiques. Il doit construire des mécanismes solides, intégrés, traçables, et ancrés dans une planification rigoureuse. Sans cela, la CNP ne sera qu’une promesse de plus dans l’archéologie des illusions institutionnelles congolaises.
— Peter MOYI






