Les autorités congolaises haussent le ton face à l’évasion minière. Réunis à Lusaka, en Zambie, les ministres des Mines des pays membres de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) ont accepté de dépêcher une commission conjointe chargée d’enquêter sur la contrebande des minerais en provenance de la RDC, en direction du Rwanda.
Kinshasa s’est présenté avec des preuves concrètes. Depuis plusieurs mois, les services spécialisés congolais documentent des fuites de cobalt, d’or et de coltan extraits illégalement dans l’Est du pays et acheminés hors du circuit officiel via des routes transfrontalières. Lors des discussions à huis clos, le ministre des Mines, Kizito Pakabomba, a exigé une réaction immédiate face à ce qu’il qualifie de « spoliation économique organisée« .
La pression n’est pas venue uniquement du Congo. Plusieurs États membres ont reconnu l’inefficacité des mécanismes actuels de surveillance. Le système de traçabilité des minerais, censé sécuriser les chaînes d’approvisionnement, ne couvre pas les nombreuses zones d’exploitation artisanale non contrôlées. Résultat : selon les données internes de la CIRGL, près de 40 % du coltan exporté depuis la sous-région en 2023 n’avait pas de certification valide.

La RDC réclame un rééquilibrage. Pour les autorités congolaises, la question dépasse la simple fraude. Il s’agit d’une perte directe de revenus, à un moment où le secteur extractif représente plus de 95 % des exportations nationales. En ciblant le Rwanda, accusé d’être le principal point de transit et de blanchiment de minerais d’origine douteuse, Kinshasa cherche à mobiliser l’ensemble des capitales régionales autour d’un principe de responsabilité partagée.
La création d’une commission d’enquête conjointe, décidée à l’unanimité à Lusaka, constitue un premier levier. Elle devra évaluer, zone par zone, les routes utilisées par les contrebandiers, établir un inventaire des points de sortie non officiels et soumettre un rapport circonstancié aux ministres dans un délai de trois mois.
Le chantier est immense. En RDC, sur les quelque 3 000 sites miniers artisanaux identifiés, moins de 15 % sont actuellement intégrés au système régional de certification. Le reste demeure dans une zone grise, où opèrent sans contrôle des réseaux armés, des exploitants clandestins et des trafiquants bien implantés.
Kizito Pakabomba, tout en saluant la décision collective, a plaidé pour un renforcement du mécanisme régional de certification des minerais (MRM). Il souhaite que chaque État de la CIRGL rende obligatoire l’enregistrement numérique des flux de production, de l’extraction jusqu’à l’exportation. « Il est temps que l’Afrique cesse d’être le théâtre des pillages sans visage« , a-t-il lancé.
La Zambie, pays hôte et grand producteur de cuivre, s’est également montrée favorable à une révision des protocoles de traçabilité. Le ministre zambien a proposé que la prochaine session ministérielle intègre des partenaires extérieurs, dont les grands acheteurs internationaux, pour renforcer la chaîne d’intégrité commerciale.
Derrière la diplomatie, les chiffres parlent d’eux-mêmes : environ 300 millions de dollars d’or et de cobalt quitteraient chaque année la RDC sans être enregistrés dans les statistiques officielles, selon des estimations croisées de la Banque mondiale et de l’ITIE.
Dans les couloirs de la conférence, plusieurs délégués ont reconnu, à voix basse, que l’efficacité de la future commission dépendra aussi de la volonté politique des États à mettre fin à certaines connivences locales et à affronter les puissants intérêts économiques en jeu.
À suivre dans les prochains mois, les conclusions de cette enquête régionale pourraient servir de socle à une nouvelle architecture de gouvernance minière dans les Grands Lacs.
— Peter MOYI