Abidjan, Côte d’Ivoire – Dans le cadre prestigieux de la 9e édition du Forum Makutano, qui s’est tenu pour la première fois à Abidjan, nous avons eu le privilège de rencontrer Michel Losembe, un éminent financier congolais. Fort d’une décennie à la tête de la CitiBank en République Démocratique du Congo (RDC), suivi d’un mandat à la tête de la Banque Internationale pour l’Afrique au Congo (BIAC), il incarne l’excellence dans le secteur financier africain. Membre fondateur et ambassadeur du Forum Makutano, Michel Losembe a partagé sa vision sur divers sujets, de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) à l’innovation financière, en passant par la coopération bilatérale entre la Côte d’Ivoire et la RDC.
Le Forum Makutano à Abidjan : Une Stratégie d’Expansion Panafricaine
Le choix d’Abidjan pour accueillir la 9e édition du Forum Makutano ne relève pas du hasard. Il s’agit d’une décision stratégique visant à étendre la portée et l’impact de ce forum économique d’envergure. Abidjan, plaque tournante économique de l’Afrique de l’Ouest, offre un accès privilégié à la CEDEAO et à un marché prometteur de 360 millions de consommateurs.
La Côte d’Ivoire, avec plus de 40 % du PIB de l’UEMOA à son actif, incarne une dynamique économique exemplaire sur le continent. D’un autre côté, la République Démocratique du Congo, avec sa population de près de 100 millions d’habitants, requiert d’importants investissements dans divers secteurs, de l’industrie extractive à l’agro-industrie.
Il est essentiel de souligner la récente intensification de la coopération entre la Côte d’Ivoire et la RDC, un signe avant-coureur de l’intégration africaine prônée par l’Union Africaine. L’adoption de la Zlecaf en 2021 en est une manifestation tangible.
La Zlecaf : Un Catalyseur du Commerce Intra-Africain
La Zlecaf représente une avancée majeure pour l’intégration et le développement du continent africain. Selon la CNUCED, ce marché colossal, le plus peuplé au monde, pourrait augmenter le commerce intra-africain de jusqu’à 33 % et réduire considérablement le déficit commercial du continent. La Banque Mondiale prévoit également une augmentation des revenus de l’Afrique de 450 milliards de dollars US d’ici 2035, dont plus de la moitié proviendrait de la simplification des procédures douanières, ainsi qu’une augmentation de 560 milliards de dollars US des exportations africaines.
La Zlecaf offre une opportunité sans précédent d’harmoniser les économies nationales vers un objectif commun. Elle encourage non seulement les échanges commerciaux, mais aussi la création de chaînes de valeur régionales, l’innovation et la diversification économique. De plus, elle favorise la collaboration entre les entreprises africaines, renforçant ainsi la compétitivité du continent sur la scène mondiale.
L’expérience de la CEDEAO en matière d’intégration économique peut servir de modèle pour bâtir un marché encore plus vaste, englobant 55 pays et 1,3 milliard de consommateurs. Makutano, en tant qu’acteur engagé, jouera un rôle essentiel en facilitant le dialogue entre le secteur privé et les gouvernements pour favoriser cette transition.
Les Défis du Chemin : Un Long Parcours d’Intégration
Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer les défis qui attendent cette entreprise ambitieuse. Les contraintes logistiques, les disparités économiques entre les pays membres, ainsi que les législations et réglementations disparates pourraient entraver la pleine réalisation du potentiel de ce marché.
Le Secteur Financier : Pilier du Commerce Intra-Africain
Dans le contexte de l’intégration continentale, le secteur financier joue un rôle crucial en tant que catalyseur du commerce intra-africain. Il facilite la circulation de la liquidité entre les unités excédentaires et déficitaires, renforçant ainsi les capacités transactionnelles, d’investissement et de production des entreprises impliquées dans le commerce transfrontalier.
L’accent doit être mis sur l’infrastructure des paiements numériques pour rendre les transactions transfrontalières plus efficaces et moins coûteuses. Le Système de paiement et de règlement panafricain (PAPSS) d’Afreximbank représente une avancée significative dans cette direction, mais son adoption doit être généralisée.
Au-delà de ces mesures à court terme, le secteur financier doit relever des défis plus complexes, tels que la mobilisation de capitaux nationaux et internationaux pour financer les investissements et les infrastructures, le développement des marchés financiers locaux, la gestion des risques liés au continent en fournissant des produits d’assurance et des instruments financiers de couverture adaptés.
La collaboration régionale approfondie dans le secteur financier est essentielle pour harmoniser les opérations et les réglementations, favorisant ainsi la convergence des systèmes financiers africains. Ce processus comprend le partage d’informations, la conformité aux normes et l’harmonisation des législations.
L’Avenir des Banques Traditionnelles en Afrique : Entre Défis et Opportunités
Les banques traditionnelles en Afrique font face à d’importants défis dans un paysage en mutation constante. Pour s’adapter à cette évolution, le secteur financier doit se moderniser et converger à travers le continent. La convergence vers les normes internationales est nécessaire pour renforcer la confiance dans les systèmes financiers locaux et encourager les investissements transfrontaliers.
Cependant, cette convergence est inégale d’un pays à l’autre, créant des disparités et complexifiant la situation pour les banques panafricaines. Le coût élevé de la mise en œuvre des nouvelles réglementations et technologies, la nécessité d’une capitalisation adéquate et le besoin de données fiables sont autant d’obstacles à surmonter.
Les gouvernements, les institutions régionales et sous-régionales doivent favoriser une collaboration plus étroite entre les banques et les régulateurs pour harmoniser les normes et encourager l’innovation technologique. Les banques capables de naviguer habilement dans ce paysage complexe seront mieux positionnées pour jouer un rôle clé dans l’économie africaine future.
Les banques traditionnelles ont également un rôle essentiel à jouer dans l’inclusion financière en Afrique. En développant des produits financiers accessibles aux populations non bancarisées, elles contribuent à étendre l’accès aux services financiers de base, stimulant ainsi l’économie et réduisant la pauvreté.
Les Formes de Finance Innovante : Un Levier pour l’Afrique
Dans un monde en constante évolution, les formes de finance innovante gagnent en popularité sur le continent africain. Les fonds d’impact, la microfinance, les cryptomonnaies, la finance islamique et la finance climat sont autant de domaines à explorer pour attirer une nouvelle génération d’investisseurs axés sur l’Afrique.
Les fonds d’impact et la finance climat sont particulièrement pertinents pour les investisseurs conscients des enjeux environnementaux et sociaux, répondant aux Objectifs de Développement Durable (ODD). En Afrique, les besoins sur ce segment sont estimés à des centaines de milliards de dollars chaque année.
La microfinance, déjà bien établie, peut servir les PME et entrepreneurs, constituant l’épine dorsale de plusieurs économies africaines. Les petites et moyennes entreprises d’Afrique subsaharienne font face à un manque de financement annuel de près de 330 milliards de dollars, créant ainsi une opportunité de transformation économique.
La finance islamique, avec ses principes éthiques, est sous-explorée sur un continent abritant plus de 400 millions de musulmans. Elle représente une niche de plus de 200 milliards de dollars à explorer.
Les cryptomonnaies gagnent également en popularité en Afrique, offrant une alternative aux systèmes financiers traditionnels. Toutefois, elles comportent des risques de volatilité qui nécessitent une réglementation et une sensibilisation accrues.
Renforcer les Relations Bilatérales : Un Enjeu Stratégique
La commission mixte Côte d’Ivoire-RDC vise à renforcer les relations bilatérales, en particulier dans les domaines du commerce et de l’investissement. Plusieurs secteurs et initiatives peuvent en bénéficier, contribuant ainsi à un écosystème commercial et économique plus durable entre les deux pays.
En agriculture, la Côte d’Ivoire, en tant que leader mondial de la production de cacao, peut partager son expertise en agriculture durable avec la RDC. Cela peut s’étendre à d’autres domaines, tels que la caféiculture, la sylviculture et l’élevage.
Sur le front de l’énergie, la RDC, avec son potentiel hydroélectrique massif, peut collaborer pour développer des infrastructures énergétiques durables, contribuant ainsi à la lutte contre le changement climatique.
La coopération diplomatique ne doit pas se limiter à l’économie, mais doit également favoriser les échanges culturels, le partage d’expériences en matière de gouvernance et de gestion de crises. Il s’agit de créer un écosystème où les savoir-faire sont partagés pour édifier une Afrique plus prospère et durable.
L’Incertaine Stabilité Politique : Un Défi Majeur
L’incertitude politique, qui prévaut dans certaines régions d’Afrique, constitue un enjeu majeur pour la stabilité économique. Les tensions sociales et les conflits armés affectent les investissements, la confiance des marchés et, par conséquent, la croissance économique.
Face à ces défis, les institutions financières doivent mettre en place des mesures de couverture pour atténuer les risques liés à la volatilité des marchés. La diversification des portefeuilles, l’investissement dans des projets durables et la collaboration étroite entre les banques et les régulateurs sont des stratégies essentielles pour minimiser l’impact de l’incertitude politique sur les marchés africains.
Dans un contexte où l’Afrique est en perpétuelle mutation, le secteur financier joue un rôle clé dans la transformation économique du continent. Les défis sont nombreux, mais les opportunités sont vastes. L’intégration, l’innovation financière et la coopération bilatérale sont les piliers sur lesquels repose l’avenir économique de l’Afrique.
AgenceEcofin/Lepoint.cd