spot_imgspot_imgspot_img

RDC : Une inflation divisée par sept, mais à quel prix pour l’économie réelle ?

Partager

La Banque centrale du Congo poursuit une stratégie de rigueur monétaire ininterrompue depuis juillet 2021, date à laquelle Malangu Kabedi Mbuyi, ancienne cadre du FMI, a été nommée gouverneure. C’est la première fois qu’une femme occupe cette fonction dans le pays. À l’heure où plusieurs économies africaines s’efforcent de limiter les effets des tensions inflationnistes mondiales, Kinshasa fait figure de cas d’école en matière de stabilité nominale. Une rareté dans la région.

Depuis août 2023, la BCC maintient son taux directeur à 25 %. Cette décision repose sur un principe clair : ancrer les anticipations du marché, contenir les dérives des prix, et protéger la monnaie nationale d’une trop forte volatilité. Cette fermeté dans l’usage des taux a permis d’écraser l’inflation de plus de 20 % en 2023 à environ 3,3 % au deuxième trimestre 2025. Une réduction brutale, comparable aux efforts réalisés par la Banque centrale du Brésil entre 2021 et 2023, et saluée par les bailleurs, en premier lieu le FMI. En soutien à cette trajectoire, le Fonds a validé deux accords avec Kinshasa, dont un d’orientation climatique, pour un montant total de 2,8 milliards USD. À ce jour, plus de 1,5 milliard USD ont déjà été décaissés, consolidant les réserves du pays estimées entre 5 et 6,7 milliards USD.

Dans le même temps, la banque centrale a renforcé la réserve obligatoire en monnaie locale, passant de 8 % à 12 % en l’espace d’un an. Cette mesure a pour objectif de mieux contrôler la masse monétaire en circulation, tout en stabilisant les écarts entre le franc congolais et le dollar américain. Résultat : la dépréciation du franc est passée de –17 % en 2023 à environ –0,1 % mi-2025, un niveau jugé stable par la place bancaire. À noter que le taux interbancaire est resté proche des 2 850 CDF/USD au cours des derniers mois, renforçant l’attractivité des actifs libellés en franc congolais.

Mais cette photographie flatteuse cache une réalité moins homogène. Le crédit bancaire reste massivement dollarisé. Les prêts libellés en francs congolais représentent moins de 20 % des volumes, ce qui limite considérablement la portée des décisions de la BCC sur le terrain. Une entreprise congolaise qui souhaite emprunter le fait, dans la majorité des cas, en devises. Cette situation affaiblit la transmission monétaire et relègue la monnaie nationale au second plan dans l’économie réelle.

Par ailleurs, les instruments mobilisés par la BCC, bien que puissants, restent essentiellement procycliques et peu différenciés selon les zones géographiques ou les secteurs d’activité. Aucun mécanisme d’ajustement n’a été activé pour amortir les conséquences économiques du conflit armé à l’Est du pays. L’approche reste uniforme, sans volet spécifique destiné aux provinces les plus exposées aux chocs sécuritaires. Une lacune qui fragilise la capacité d’adaptation du cadre actuel.

Les efforts de discipline sont néanmoins indéniables. La gouverneure Kabedi a instauré une pratique régulière de communication monétaire, avec des publications systématiques des décisions de politique, un dialogue continu avec les institutions internationales, et une volonté affichée d’assainir la gestion interne de l’institution. Cette constance technique, encore rare sur le continent, a consolidé la crédibilité de la BCC au niveau régional.

Pour aller plus loin, plusieurs économistes préconisent désormais un élargissement du cadre monétaire. Il s’agirait de compléter les outils classiques (taux directeur, réserves obligatoires) par des instruments macroprudentiels : ratios de liquidité, règles de concentration sectorielle du crédit, stress tests réguliers. Ce serait aussi l’occasion de favoriser une meilleure bancarisation en monnaie locale. Certains suggèrent des incitations fiscales, d’autres la mise en place de mécanismes de garantie publique pour les prêts en francs congolais destinés aux PME.

D’autres appellent à renforcer la coordination entre la BCC et les ministères de l’Économie et des Finances, afin de concevoir des programmes conjoints de financement ciblé, en particulier pour les secteurs prioritaires : agriculture, industries locales, infrastructures. Une politique monétaire trop indépendante, déconnectée des politiques sectorielles, risque de rester théorique dans ses effets.

Si l’on s’en tient aux indicateurs, la BCC a rempli sa mission de stabilité. Les prix sont contenus, la monnaie ne s’effondre pas, les réserves sont confortées. Mais dans une économie où l’informel prédomine, où le tissu entrepreneurial est fragile, où les crédits restent difficiles d’accès, cette réussite reste partielle. Le défi, désormais, est de relier cette stabilité aux impératifs du développement. Cela passera par une politique monétaire plus souple sur certains fronts, mais aussi plus offensive sur le terrain de la transformation économique. C’est le prochain test qui attend la gouverneure Kabedi.

Peter MOYI

En savoir +

A la Une