spot_imgspot_imgspot_img

Temps de trajet doublé, prix triplés et 1,35 million de litres de carburant gaspillés chaque jour dans les embouteillages à Kinshasa

Partager

Le trafic à Kinshasa s’est effondré sous le poids de sa propre croissance. Conçue pour abriter un million d’âmes, la capitale de la RDC accueille aujourd’hui entre 17 et 20 millions de personnes. Chaque jour, la paralysie des routes ralentit la vie économique, creuse l’inflation et épuise la population. Mais la congestion routière n’est que l’émergence visible de problèmes systémiques : constructions anarchiques, inondations récurrentes, pression insoutenable sur l’électricité, saturation du centre-ville…

Un économie freinée à chaque feu rouge

Les bouchons à Kinshasa ne se résument plus à des files interminables : ils siphonnent plus d’1 million de dollars US quotidiennement en pertes directes. Près de 1,35 million de litres de carburant partent en fumée chaque jour, sans transporter la productivité. Là où une heure d’embouteillage coûte 3,5 millions USD par an au secteur tertiaire, l’activité économique ploie sous des retards en cascade.

Tableau : Impact économique quotidien des embouteillages

Type de perteEstimation quotidienne
Pertes économiques totales>1 million USD
Carburant gaspillé1,35 million de litres

Les entreprises paient la facture : coûts logistiques multipliés par trois, retards d’approvisionnement, baisses de performance salariale. Les travailleurs arrivent à bout de souffle. Taxis, camions, motards… : chacun perd du chiffre d’affaires, parfois jusqu’à 60 % du PIB par habitant.

Flambée des transports, vie plus chère

À Kinshasa, le prix d’un simple trajet a doublé ou triplé : +40 % sur les lignes principales depuis 2023. Sur l’axe Masina-centre-ville, la course oscille entre 2 500 FC et 4 000 FC, contre 1 000 FC auparavant.

Tableau : Évolution des tarifs de transport à Kinshasa (2019-2024)

TrajetPrix 2019Prix 2024
Masina – Centre-ville1 000 FC2 500-4 000 FC
Kingabwa – Zando1 000 FC2 500 FC

L’inflation urbaine suit : le coût du panier de la ménagère grimpe, le transport plus cher renchérissant les denrées. Maïs, huile, charbon de bois : chaque bouchon pèse sur l’assiette des Kinois. L’inflation alimentaire, combinée à l’envolée des coûts de transport, alourdit un quotidien déjà précaire.

Temps perdu, trajets fractionnés, usagers à bout

Le temps est devenu la première victime. Partir à 5h du matin pour être à l’heure à 8h est devenu une norme. Beaucoup passent 4 à 6 heures par jour dans les transports.

Le « demi-terrain » s’est imposé : les chauffeurs fractionnent les trajets, forçant les passagers à payer deux fois pour une même destination. Une course Gare Centrale-Place Mandela, jadis à 1 000 FC, coûte aujourd’hui 2 000 FC découpée en deux segments.

La surcharge des minibus aggrave le calvaire. Entassés jusqu’à l’étouffement, les passagers subissent l’insécurité et l’inconfort, pendant que les mototaxis, proliférant pour contourner les bouchons, majorent leurs tarifs jusqu’à 7 000 FC par course.

Dérèglement urbain : constructions anarchiques, inondations, délestages

La croissance démographique a entraîné une explosion de constructions non réglementées : quartiers spontanés, parcelles construites sur des lits de rivières, absence de voiries planifiées. Cette urbanisation sauvage rend la ville vulnérable aux inondations : à chaque pluie, les routes se transforment en torrents, aggravant l’érosion et les dégâts matériels.

Par ailleurs, les besoins en électricité ont explosé. La SNEL (Société nationale d’électricité) n’avait pas anticipé une telle pression : les quartiers nouvellement peuplés restent mal desservis, les lignes existantes saturent. Le délestage électrique s’est banalisé, affectant les foyers comme les entreprises.

Une mégapole à repenser : pourquoi pas une deuxième ville ?

La concentration de toutes les activités à Gombe, Kinshasa centre, étouffe la ville. Ministères, banques, grandes entreprises : tout gravite autour de quelques hectares saturés. Cette configuration obsolète nourrit l’engorgement quotidien.

La question se pose : pourquoi l’État ne planifie-t-il pas la création d’une seconde capitale administrative ou d’un pôle urbain déconcentré ? Ailleurs en Afrique, Abuja (Nigeria) ou Yamoussoukro (Côte d’Ivoire) ont été construits pour désengorger les centres historiques. Kinshasa pourrait bénéficier d’un projet similaire, amorçant une décentralisation vitale à long terme.

Un avenir suspendu

Chaque kilomètre embouteillé est un coup porté à la vitalité économique de la RDC. La circulation, décrite comme « zéro de conduite » par Jeune Afrique, illustre un malaise plus profond : absence de planification urbaine, politiques de transport obsolètes.

Des projets tentent d’inverser la tendance : taxis fluviaux, dragage du fleuve, transport urbain par bus et trains… Le plan d’urgence adopté en 2024 prévoit 89 millions USD pour libérer Kinshasa du chaos routier.

Mais sur le terrain, les Kinois attendent encore. Leurs vies continuent de se dissoudre dans des bouchons sans fin, sous des déversements de pluie imprévisibles, dans des nuits privées d’électricité.

— M. KOSI

En savoir +

A la Une