Tshisekedi met fin à 9 millions USD de lobbying américain jugé inefficace

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Félix Tshisekedi

Le président Félix Tshisekedi, par la voix ferme de sa porte-parole Tina Salama, a mis fin aux contrats de lobbying liant la République démocratique du Congo à plusieurs firmes américaines. Une décision inhabituelle, presque à contre-courant des pratiques diplomatiques africaines actuelles, marquées par une sous-traitance stratégique souvent dispendieuse.

Les chiffres, froids et têtus, parlent d’eux-mêmes : 5 millions de dollars en six mois pour Earhart Turner LLC, 70 000 dollars par mois pour Scribe Strategies, piloté par Joseph Szlavik – un nom familier de l’ère Bush – et 100 000 dollars mensuels pour Ballard Partners, cabinet dirigé par Brian Ballard, figure de proue des réseaux trumpistes. À cela s’ajoute un accord de 1,4 million de dollars avec Aaron Sean Poynton, un ex-militaire reconverti en stratège de défense avec sa société Omnipoynt Solutions.

En cumulant ces montants, c’est près de 9 millions de dollars évaporés en moins de deux ans, soit l’équivalent de trois fois le budget annuel de fonctionnement de l’Université de Lubumbashi.

Mais au-delà des montants, la question qui s’impose : à quoi ont-ils servi ?

D’après Michel Bisa Kibul, professeur à l’Université de Kinshasa et fin connaisseur des rouages diplomatiques, cette stratégie d’influence n’a pas produit d’impact tangible. Les messages congolais à destination du Congrès américain sont restés inaudibles, les plaidoyers pour des partenariats renforcés sont restés lettres mortes.

« Le recours à ces cabinets révèle une diplomatie de location. Une forme de mercenariat institutionnel qui expose notre pays à des chantages soft et à des désillusions brutales », tranche-t-il.

Et de poursuivre : « Le président a cru, à tort ou à raison, que Donald Trump offrait un couloir plus direct. Ce pari comporte un risque : celui de se priver des mécanismes officiels de relais à Washington, en misant sur un accès informel instable. »

Cette rupture, brutale et non négociée, pourrait même se retourner contre la RDC. Car dans un pays où le lobbying est non seulement légal mais régulé par le « Foreign Agents Registration Act », les entreprises congolaises ou les intérêts miniers pourraient désormais faire face à des contre-campagnes, alimentées par d’anciens partenaires devenus concurrents.

La rencontre entre Félix Tshisekedi et Massad Boulos, conseiller Afrique du président américain, vient confirmer cette volonté de court-circuiter les intermédiaires. Ce 3 avril, à Kinshasa, les deux hommes ont échangé sur les leviers économiques entre la RDC et les États-Unis.

« Je me réjouis de collaborer avec le président Tshisekedi pour renforcer nos relations et favoriser une prospérité partagée, notamment via les investissements dans le secteur minier », a déclaré Boulos, devant un parterre restreint de journalistes triés sur le volet.

Dans les cercles proches du pouvoir, on parle désormais d’une « diplomatie bilatérale renforcée », où les échanges seraient concentrés entre exécutifs, loin des circuits institutionnels classiques. Mais cette approche peut-elle durer ?

Un ancien négociant de Kolwezi, reconverti dans le conseil minier, glisse anonymement : « Les lobbyistes ne sont qu’un outil. Le problème, c’est que la RDC parle trop souvent sans stratégie claire. Les cabinets vendent une voix à ceux qui ne savent plus comment se faire entendre.« 

Selon des données obtenues par Lepoint.cd, les transferts informels de fonds entre Washington et les associations congolaises basées aux USA ont chuté de 35 % en 2023, conséquence indirecte du refroidissement des canaux de plaidoyer.

Et à Kisangani, lors d’une conférence économique organisée en janvier par la FEC locale, plusieurs entrepreneurs ont interpellé le gouvernement : « Nous voulons du concret, pas des contrats de consultants qui finissent dans des rapports jamais publiés. »

En réalité, cette décision pourrait préfigurer une nouvelle ère de négociations, où la RDC elle-même deviendrait le terrain de chasse des lobbyistes étrangers. Des firmes américaines ou européennes, frustrées de la rupture, pourraient redoubler d’efforts pour faire pression sur Kinsasha depuis Bruxelles ou Nairobi.

Cette stratégie, si elle est maintenue, pourrait… Mais les détracteurs soulignent que sans relais professionnels, la RDC s’expose à parler seule dans un brouhaha international de plus en plus bruyant.

Le paradoxe congolais persiste : se libérer de l’influence sans construire une souveraineté diplomatique robuste, c’est comme vouloir s’émanciper du FMI sans créer une monnaie crédible. Une posture qui finit souvent…

Par M.KOSI

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